Enseignements du printemps du 17e Gyalwang Karmapa
à l’occasion de l’Arya Kshéma
La vie du 8e Karmapa Mikyeu Dorjé
7e Arya Kshéma
27 février 2021
Pour commencer, le Karmapa conseille aux personnes vivant en Inde et au Népal de ne pas trop relâcher leur vigilance avec la pandémie de la Covid-19, mais de continuer à faire attention et à prendre des précautions.
1e partie : Déshin Shèkpa se rend en Chine
Selon des documents historiques, l’empereur Ming, Yonglé, invita le 5e Karmapa, Déshin Shèkpa, de l’Ütsang (qui est le terme utilisé dans les documents chinois pour parler du Tibet) afin d’accomplir des rituels pour ses parents défunts, coutume très importante dans la culture chinoise. Pendant la visite du Karmapa, l’empereur eut aussi avec lui de longues conversations sur la stratégie politique à adopter au Tibet. L’empereur espérait que, avec son appui militaire, Déshin Shèkpa assumerait le pouvoir et les responsabilités politiques au Tibet, de la même manière que l’avait fait Drogœn Cheugyal Pakpa au temps de la dynastie mongole Yuan. Kublaï Khan avait donné à Drogœn Cheugyal Pakpa le titre de ‘Précieux Roi du Dharma’, et l’empereur Ming donnait maintenant le même rang et le même titre à Déshin Shèkpa, avec quelques petites différences.
Déshin Shèkpa n’avait aucun souhait d’accepter le pouvoir politique ou des responsabilités, et il donna deux raisons : envoyer une armée chinoise au Tibet ne causerait que des troubles et des conflits pour le peuple tibétain, et le fait d’avoir de nombreuses lignées du dharma au Tibet était bénéfique. A la place, il fit la requête à de l’empereur Ming d’accorder des titres et des positions aussi bien aux chefs religieux que séculaires de toutes les traditions du Tibet, ce que fit l’empereur et fut perpétué par la dynastie Ming. Après le retour de Déshin Shèkpa au Tibet, l’empereur invita Jé Tsongkhapa. Cependant, Tsongkhapa ne put aller en Chine, mais l’empereur invita également Jamchèn Cheujé de l’ordre guélouk, Tèkchèn Cheujé de l’ordre Sakya, etc. et leur donna des titres, tout comme il l’avait fait pour Déshin Shèkpa.
Pendant que Déshin Shèkpa était à Nanjing, il fit de nombreuses suggestions à l’empereur et en conséquence, l’empereur amnistia des personnes emprisonnées. Ceci témoigne du grand amour que Déshin Shèkpa avait pour les êtres et il le rendait souvent manifeste par ses actes. Il réalisa aussi une prédiction faite par le 4e Karmapa, Rolpai Dorjé, qui disait que si un bhikshu vertueux mourait sur une montagne particulière et que son corps y était incinéré, il n’y aurait pas de guerre entre la Chine et l’Inde. Par la suite, Déshin Shèkpa mourut sur cette même montagne et son corps y fut incinéré ; en raison de cela, son successeur put aller en Inde et empêcher la guerre entre la Chine et l’Inde. Le Khènpo de Guèndun Gang composa une louange qui disait que l’incarnation de Rolpai Dorjé pourrait protéger de nombreux êtres du danger et leur apporter le bonheur. Sachant cela, il reprendrait naissance intentionnellement : ce fut Déshin Shèkpa.
A son retour au Tibet, de nombreuses personnes vinrent l’accueillir. Même Jé Tsongkhapa lui envoya une lettre, conservée dans les Oeuvres complètes courtes de Jé Tsongkhapa. La lettre dit ceci : « Pour ce qui est de la personne qui prend la responsabilité de faire fleurir les enseignements du Bouddha, aucune n’est supérieure à Déshin Shèkpa, le Karmapa. » Il joignit à la lettre une statue du Bouddha Shakyamouni assis dans la posture de Maitreya du monastère de Réting. Le 16e Karmapa ramena la statue avec lui du Tibet, et elle se trouve à la trésorerie du monastère de Roumtek, au Sikkim. Des maîtres d’autres traditions envoyèrent aussi des lettres.
Tsourpou Jamyang Chènpo, disciple direct de Déshin Shèkpa, écrivit un namthar qui n’était pas disponible auparavant mais qui est maintenant en notre possession. Il raconte que, pendant le séjour de Déshin Shèkpa en Chine, non seulement les officiels importants venaient pour une audience, mais aussi beaucoup de gens qui parlaient des langues différentes, ce qui fait que Déshin Shèkpa enseignait le dharma entouré de quatre ou cinq traducteurs. Beaucoup de ces personnes avaient voyagé pendant des jours et des jours, se prosternant à chaque pas, comme le voulait la vieille tradition chinoise. Déshin Shèkpa enseignait essentiellement la récitation des mantra-noms des bouddhas et bodhisattvas, et les engagements, comme par exemple arrêter de tuer. Il encourageait ainsi les gens à pratiquer la vertu.
Dans la collection de la Bibliothèque nationale chinoise, il existe un texte intitulé les Noms, représentations et mantra-noms des bouddhas et bodhisattvas. Il traite de l’échange de textes bouddhistes et de techniques d’impression entre la Chine et le Tibet durant la période Ming. (Sa Sainteté montre une diapositive du livre qui a été publié avec ces textes.) Le texte est principalement écrit en chinois ; certaines sections incluent quatre alphabets, dont le lèntsa, le tibétain et le mongole avec des introductions et conclusions en chinois. Il y a trois sections qui donnent essentiellement les images, les noms et les mantra-noms des bouddhas et bodhisattvas dans un mélange de chinois et de tibétain. Une des images représente Déshin Shèkpa ; elle a été imprimée à Beijing en 1431, la sixième année du règne de l’empereur Xuandé, par l’étudiant chinois de Déshin Shèkpa, Xiüjï Shanzhu.
La préface de ce texte, en chinois et en tibétain, dit ceci : « Le Karmapa ou Précieux Roi du Dharma a partagé beaucoup des dharmas et des écrits qu’il avait donnés. Ceux-ci sont maintenant imprimés dans ce livre. » Beaucoup de chercheurs considèrent que ce texte est important et qu’il est une bonne source de la manière dont le bouddhisme tibétain s’est répandu vers l’Est, dans les régions chinoises.
Il existe un texte semblable de la dynastie Ming, intitulé Sì Yǒu Zhāi Cóngshū, qui a le même sens et la même influence que ce texte. Le deuxième texte porte essentiellement sur les cérémonies de Déshin Shèkpa pour les parents de l’empereur au temple de Linggou ; il y eut de la musique divine venue du ciel et divers signes auspicieux, visibles et audibles par tous. Les témoins rapportèrent à l’empereur ce qu’ils avaient vu et l’événement fut traduit dans un chant intitulé Signes auspicieux dans le ciel. A partir de là, la foi de l’empereur en Déshin Shèkpa se renforça, et il étudia les textes bouddhistes encore plus assidument qu’auparavant. Il écrivit aussi des mélodies pour le dharma qui furent produites sous forme de chant et de danse au palais. L’empereur cessa de composer au cours de la 17e année de son règne et fit tout imprimer dans un livre avec des représentations du Bouddha. Le livre fut distribué largement. Puis, le 12e jour du 9e mois, l’empereur se rendit au monastère de Dabaung (qui se traduit par « le Grand monastère pour rendre la bonté »). Il fit réimprimer et distribuer le livre. L’année suivante, le 16e jour du 5e mois, il demanda aux deux ministres d’imprimer et de distribuer ces textes avec les noms des bouddhas et bodhisattvas et les mélodies dans les régions de Shanxi et Henan. Et c’est ainsi que l’esprit de l’empereur se tourna vers le dharma ; il avait un très grand intérêt pour le dharma et ses reines développèrent aussi un grand respect pour les bouddhas et bodhisattvas. Pour le bien de tous ceux qui avaient foi en le dharma, il construisit de nombreux monastères à l’intérieur et à l’extérieur de Nanjing, qui était rempli de temples.
Sa Sainteté explique brièvement ce qu’on entend par mélodies du dharma. Karma Pakshi, où qu’il aille, portait la coiffe noire et récitait le mantra de mani avec une mélodie, et il répandit cette pratique. Les Karmapas suivants continuèrent cette activité de porter la coiffe noire tout en récitant sur des mélodies. A l’époque du 16e Karmapa, cependant, quand il portait la coiffe noire, on jouait des gyalings mais sans réciter avec les mélodies. A l’époque des premiers Karmapas, les gens recevaient principalement les bienfaits grâce au mantra de mani et à la mélodie chantée à ce moment-là. Quand Déshin Shèkpa accomplissait des cérémonies et des rituels, il se produisait tant de signes auspicieux que les gens développaient naturellement la foi et la croyance, et ils récitaient la prière de mani jour et nuit. Cependant, à un certain moment, il y eut une certaine confusion en lien avec le clan Ru-Shen qui pratiquait le confucianisme et n’était pas favorable au bouddhisme. Ils prétendaient que le mantra OM MANI PADME HUNG ne pouvait se traduire en chinois, et qu’on devrait donc réciter AM BANI HUNG à la place, ce qui se traduit par « Je vous flatte ».
Quelle relation y a-t-il entre avoir foi en le Karmapa et réciter le mantra de six syllabes ? Le texte chinois dit : « Le mantra de Gourou Karmapa, le Précieux Roi du Dharma, OM MANI PADME HUNG. » Le texte tibétain dit : « Je me prosterne devant le Seigneur du dharma, Karmapa, OM MANI PADME HUNG. » A cette époque-là, la tradition de chanter « Karmapa Khyenno » n’existait pas. Parce que le Karmapa était considéré comme une émanation d’Avalokiteshvara, la tradition était de chanter OM MANI PADME HUNG, le mantra d’Avalokiteshvara. De plus, Karma Pakshi avait beaucoup mis l’accent sur la pratique du mani, et quand Deéshin Shèkpa alla en Chine, il le récita aussi, ce qui fait que le mantra à six syllabes se répandit largement en Chine sous le patronage de l’empereur Yonglé. ‘Il semble y avoir une profonde connexion’, commente le Karmapa.
Les empereurs Ming continuèrent de soutenir le bouddhisme tibétain et de le diffuser après la mort de Yonglé. Par exemple, à l’époque de l’empereur Ming, Xiaozong, il y avait plus de mille moines tibétains à Beijing. De même, à l’époque de l’empereur Ming, Yingzong, un endroit spécial fut préparé pour servir à manger aux moines et nonnes tibétains et on construisit un monastère pour leur résidence. Pendant le règne de l’empereur Ming, Xiaozong, des nonnes et moines tibétains étaient amenés au palais pour y conduire des rituels. Ming Wuzöng, l’empereur qui invita Mikyeu Dorjé, montra encore plus d’intérêt pour le bouddhisme tibétain que ses prédécesseurs. Il apprit le tibétain et portait les robes de moine tibétain.
Quand Déshin Shèkpa eut terminé les cérémonies au temple de Linggou, il se rendit à la montagne de Wutaï, où il resta longtemps. Comme Sa Sainteté l’a mentionné le jour précédent, à la montagne de Wutaï, il y a un temple Xian Tong et un stoupa du Bouddha Akshobhya, offert par l’empereur. C’est probablement le premier temple bouddhiste tibétain construit à la montagne Wutaï, qui est l’un des quatre sites sacrés en Chine. Dans le bouddhisme chinois, c’est le site sacré de Manjoushri, et en tant que tel, le site le plus important à la fois pour les bouddhistes chinois et tibétains.
Bien que Déshin Shèkpa n’ait passé que deux années pleines en Chine, il y exerça une puissante influence. Ses étudiants restèrent en Chine et prirent la responsabilité de diffuser le dharma. Une des personnes qui avait invité Déshin Shèkpa du Tibet en Chine, un moine qui s’appelait Zhiguang, devint un excellent pratiquant et un traducteur majeur du chinois vers le tibétain et vice versa. Un autre étudiant important de Déshin Shèkpa était Paldèn Tashi. Il était avec Déshin Shèkpa à Nanjing et Déshin Shèkpa le ramena au Tibet avec lui et lui donna beaucoup d’instructions. Paldèn Tashi devint l’un des plus célèbres traducteurs du chinois vers le tibétain de la dynastie Ming. Il resta longtemps en Chine, où il enseigna le dharma à beaucoup de chinois et à des ministres.
L’étudiant laïque chinois le plus célèbre de Déshin Shèkpa était un eunuque qui s’appelait Zhenghé. L’empereur Yonglé comptait grandement sur lui, et il se rendit en Occident sept fois. Il fut le premier à traverser l’océan pour aller en Occident et c’est une figure chinoise très connue, qui découvrit et explora de nombreux endroits nouveaux. Comment savons-nous qu’il est bouddhiste ? Bien que beaucoup d’histoires disent qu’il était musulman, il existe un texte imprimé au début de la dynastie Ming appelé le Soutra des vœux laïques qui est attribué à « l’eunuque Zhenghé qui avait grande foi dans les enseignements bouddhistes ». Il partit en Occident avec des armées et de grands navires, traversant les océans, pour travailler pour l’empereur. Pendant sa traversée des vastes océans, il fut protégé par les bouddhas, arriva sain et sauf et n’eut pas d’obstacles sur le chemin. Et parce qu’il avait toujours montré sa gratitude et son grand cœur, il fut capable de rapporter une grande fortune. Il pensa toujours que c’était la bonté des bouddhas et pour cette raison, il ne regardait pas à la dépense et imprimait de nombreux textes bouddhistes. Par exemple, il imprima dix exemplaires des paroles du Bouddha et les offrit à des monastères bien connus dans différents endroits de Chine. Il rencontra Déshin Shèkpa au temple de Linggou. Plus tard, Zhenghé alla au Sri Lanka et rapporta une dent du Bouddha qu’il offrit à l’empereur de Chine. L’empereur de Chine la fit enchâsser dans de l’or et l’offrit à Déshin Shèkpa. Quand Déshin Shèkpa rentra au Tibet, il rapporta beaucoup d’artefacts chinois avec lui, dont l’un est le grand sceau de jade qui constitue à l’heure actuelle une des pièces d’exposition prisées au Musée du Tibet à Lhassa.
2e partie : L’invitation de Mikyeu Dorjé en Chine
Le 7e Karmapa, Cheudrak Gyatso, dit que dans sa vie future, s’il ne devait y avoir qu’un Karmapa, il ne serait pas d’un grand bienfait aux enseignements , et dans un texte, il prédit deux Karmapas. Dès lors, certains dirent que l’empereur Ming, Zhengdé, aussi connu sous le nom Ming Wuzöng (1491-1521), était une émanation du Karmapa.
Mikyeu Dorjé mentionna ce sujet dans l’autobiographie qu’il écrivit à la montagne Namteu :
Puis le victorieux Cheudrak Gyatso dit :
« Pour protéger les enseignements du Bouddha
en ce monde, furent émanés des corps
aussi bien en tant qu’empereur que celui qu’il vénérait.
Si les enseignements ne sont pas protégés par le pouvoir,
les actes négatifs des personnes dégénérées ne seront pas maîtrisés.
A l’avenir, j’émanerai simultanément les corps
du bienfaiteur et de l’objet de sa vénération.
Et ainsi, je soutiendrai l’activité. »
C’est pourquoi l’empereur chinois Zhengdé dit :
« Je suis aussi une émanation du Karmapa. »
En tout cas, on dit que la naissance de Mikyeu Dorjé en 1505 et l’accession de l’empereur au trône doré eurent lieu le même jour. L’empereur s’intéressait à de nombreuses religions dont l’islam, et il avait aussi un grand intérêt pour le bouddhisme tibétain. Il s’était donné le nom du dharma de Dàqìng Fǎwáng, qui se traduit par « Glorieux Joyau » et en fit faire un cachet. Il y a également des histoires qui racontent qu’il portait les robes d’un lama tibétain, mettait la coiffe noire et disait : « Je suis le Karmapa. »
A partir du Karmapa Déshin Shèkpa, la tradition s’est installée selon laquelle les Karmapas et les empereurs Ming s’envoyaient des messagers et se faisaient des offrandes. En particulier, à l’époque du 8e Karmapa, l’empereur Zhengdé dit : « A l’ouest, il y a un nirmanakaya d’Amitabha. Il est venu pour mon bien, aussi doit-il être invité en Chine. » Sur l’ordre de l’empereur, une grande caravane de ministres, d’eunuques, de soldats, de moines et de porteurs – en tout plus de 70 000 personnes – fut envoyée pour remettre l’invitation ; ils transportaient des offrandes : des objets rituels en or, de l’argent et une variété de bijoux, des robes et des sièges, du thé, de la soie, du bois de santal et d’autres offrandes non précisées. (Ici, l’ouest renvoie à l’ouest de la Chine, i.e. le Tibet)
Ceci est mentionnée dans l’autobiographie de Mikyeu Dorjé :
Ramener de l’ouest vers le grand palais,
pour faire mon bien,
l’émanation d’Amitabha,
connu comme la réincarnation du Karmapa.
Sa Sainteté explique qu’il est important de comparer les histoires chinoises et tibétaines car elles diffèrent parfois. Une histoire du début de la dynastie Ming rapporte que des gens dans l’entourage de l’empereur lui dirent qu’un moine à l’ouest connaissait les trois temps – passé, présent et futur -, et c’était probablement Dusoum Khyènpa. Ils racontèrent que des gens des régions arriérées disaient qu’il était un nirmanakaya ou bouddha vivant. Dans les histoires tibétaines, quelqu’un du nom de Domtsa Goshri fut le premier à parler des Karmapas à l’empereur. C’est le 7e Karmapa, Cheudrak Gyatso, qui lui donna le titre de Goshri et l’envoya en Chine. D’abord, on ne le crut pas et il fut jeté en prison. Puis, on finit par le croire et le libérer ; on le questionna à propos du Karmapa et un certain intérêt apparut. Les histoires chinoises rapportent que, à l’époque de Yonglé, il envoya des émissaires pour prier le Karmapa de venir en Chine, et fit des cadeaux et des offrandes si vastes qu’en fait il vida la trésorerie. L’empereur donna dix ans aux émissaires pour accomplir leur mission.
Cependant, les histoires tibétaines disent que Mikyeu Dorjé n’eut pas le choix. L’ordre de l’empereur était si insistant qu’il pensait que, s’il refusait d’y aller, les soldats de l’empereur l’enlèveraient et l’emmèneraient en Chine, ce qui suggère que le chiffre de 70 000 doit être vrai, commente Sa Sainteté. L’immense escorte s’arrêta et établit son camp à Rabgang, pour ne pas offenser le Tibet. Le Grand Campement envoya un groupe pour les accueillir, comme il était d’usage, mais le ministre chinois en fonction ne les laissa pas entrer. Plutôt que d’y aller en personne, il envoya ses représentants avec une lettre d’invitation pour Mikyeu Dorjé, qui n’accepta pas la lettre. Il renouvela probablement sa démarche au Campement trois ou quatre fois, mais sans succès. Finalement, en 1520, le ministre alla en personne remettre l’invitation. Le premier jour, le ministre lui-même vit Mikyeu Dorjé, lui offrit une khata, etc. Le jour suivant, c’est l’invitation de l’empereur elle-même qui arriva et le Seigneur Mikyeu Dorjé, selon la coutume précédemment établie, alla en personne recevoir la lettre et l’accepta. Le jour suivant, les offrandes des reines, des princes, des ministres et la plupart des autres offrandes arrivèrent, et elles devaient plus tard être arrangées comme offrandes au temple du Campement. Cependant, lors de sa première rencontre avec le ministre, Mikyeu Dorjé vit des signes montrant que les augures n’étaient pas bons. Avalokiteshvara lui apparut dans une vision et dit que l’empereur était décédé et donc qu’il ne devrait pas y aller. C’est ainsi que Mikyeu Dorjé déclina l’invitation de se rendre en Chine.
Mikyeu Dorjé n’était alors qu’adolescent à l’époque, et le ministre chinois avait essayé de soudoyer l’intendant du Karmapa avec des cadeaux. Il lui promit que, si Mikyeu Dorjé allait en Chine, il se verrait attribuer un rang élevé – guo göng ou duc – en guise de récompense. Les deux se mirent d’accord pour que les offrandes ne soient pas données à Mikyeu Dorjé tant qu’il n’aurait pas accepté. Mikyeu Dorjé était catégorique : il n’irait pas parce que les augures n’étaient pas bons mais, pour qu’à leur retour les émissaires ne soient pas punis par l’empereur, Mikyeu Dorjé promit qu’il irait à une date ultérieure. Le ministre refusa, reprit les offrandes et menaça de détruire le Kham. En même temps, il complota avec l’intendant pour enlever le Karmapa et le forcer à aller en Chine. Heureusement, le complot fut découvert, et Mikyeu Dorjé fut emmené rapidement au Tibet central, en sécurité.
Mikyeu Dorjé raconte ceci dans son autobiographie :
Soixante-dix mille messagers du grand seigneur des humains
vinrent quand j’avais quatorze ans.
Ils m’ont ordonné de partir immédiatement
pour être le gourou de l’empereur chinois.
A l’époque, je n’étais pas encore adulte,
et l’aurais-je été, je n’avais pas en moi
même une fraction des qualités
pour être le maître spirituel d’un empereur nirmanakaya.
J’étais découragé et désespéré de mon karma –
par quelle faute avais-je un tel titre
d’être connu comme le Karmapa ?
Ils m’ont supplié des nombreuses fois,
me disant que je n’avais pas le pouvoir
de passer au-dessus de l’émissaire de l’empereur.
Ils projetaient de m’emmener, et alors
j’ai refusé très sérieusement.
L’escorte de l’émissaire de l’empereur
s’est montrée arrogante et est partie.
Donc, finalement, l’émissaire n’eut d’autre choix que de partir. Mais les choses ne se passèrent pas bien pour eux. En chemin, ils furent attaqués par des bandits, beaucoup de soldats moururent, et les offrandes disparurent. Il se trouve que, peu de temps après, l’empereur décéda et le nouvel empereur n’avait aucune foi en le bouddhisme ; ainsi, le voyage de Mikyeu Dorjé aurait été inutile. L’émissaire eunuque faillit être exécuté, mais il fut démis de ses fonctions et devint jardinier. De nombreuses catastrophes naturelles se produisirent en Chine ; on dit que c’était parce que le ministre n’avait pas donné les offrandes comme décrété par l’empereur et que le Karmapa était mécontent.
Voici ce que dit la biographie :
A ce moment, l’énergie de sa vie étant épuisée,
l’empereur, seigneur des humains, partit dans un autre royaume.
A ce moment, même si j’y étais allé,
ce n’aurait été d’aucune utilité, si ce n’est de la fatigue.
Ce n’est pas que j’avais la capacité et le pouvoir
d’accomplir les souhaits du grand empereur
mais ne le fis pas. Comme je n’avais pas la capacité
de les accomplir, Ô empereur,
que vous soyez une émanation ou non,
s’il y a quelque mal, je le confesse. Veuillez me pardonner.
Sa Sainteté tira de ces événements quelques conclusions générales. Ils montrent le véritable caractère de Mikyeu Dorjé. Bien qu’il ait été confronté à beaucoup de critiques pour ne pas être allé en Chine et ne pas avoir accepté les offrandes, etc. en fait, ceci nous montre qu’il n’a pas d’attachement aux huit dharmas mondains. Il a fait en fonction de son cœur et de son esprit. Il n’aurait pas fait quelque chose parce qu’on lui avait fait des offrandes ou parce que, dans le cas de l’empereur Ming, c’était quelqu’un d’important ou de célèbre. Dès son jeune âge, il était différent et autonome. Il se débrouillait tout seul quoi que les autres disent. Il se servait de son intelligence pour examiner la situation et agissait ensuite selon sa compréhension. Quand nous regardons les histoires de la vie des grands êtres, nous pouvons parfois nous demander pourquoi ils ont fait ce qu’ils ont fait, et penser qu’ils auraient mieux fait d’agir autrement. Mais, quand on regarde les gens, on ne voit que leur apparence extérieure. Quand nous considérons les actes des gourous, nous n’arrivons parfois pas à comprendre, et questionnons ce qu’ils ont fait. Cependant, nous nous rendons compteplus tard que ces grands maîtres ont fait ce qui était juste et sont pour nous des exemples. Il faut même parfois plusieurs siècles pour comprendre des situations et savoir que ce qu’ils ont fait était bien.