Enseignements du printemps du 17e Gyalwang Karmapa
à l’occasion de l’Arya Kshéma
La vie du 8e Karmapa Mikyeu Dorjé
7e Arya Kshéma
28 février 2021
Après avoir salué tout le monde, Sa Sainteté revient aux deux textes, les Strophes autobiographiques du Karmapa Mikyeu Dorjé intitulées ‘Actes Bons’ et la Louange ‘Il chercha pleinement …’. Sa Sainteté souligne les ressemblances entre les cinquièmes strophes des deux textes.
Voici la cinquième strophe des Actes bons :
J’ai vu que tout le monde, élevé et inférieur, doit mourir,
nu et les mains vides, comme une rivière torrentielle.
Après réflection, comment des pensées des huit préoccupations
pourraient-elles avoir une chance d’apparaître, même en rêve ?
Je considère ceci comme un de mes actes bons. (5)
Ce cinquième acte bon est aussi le cinquième aspect des préliminaires, dans le plan principal, avec une insistance fondamentale sur ‘renoncer à cette vie parce que l’impermanence a pris racine dans son être.’
Le Gyalwang Karmapa montre la similitude entre ce verset et la cinquième strophe de la Louange :
Son esprit jamais séparé de l’amour et des affres de la compassion,
Son souhait d’émancipation était absolument pur.
Il se désespérait toujours de la souffrance et de ses causes
et réfléchissait à l’impermanence, à lui j’adresse ma prière.
Dans le commentaire annoté de la Louange ‘Il chercha pleinement …’ du 5e Shamar, Keunchok Yènlak, cette strophe traite de la ‘générosité transcendante – l’amour, etc. – et la diligence transcendante du non-attachement, etc.’. Sa Sainteté explique le sens de ces strophes en distillant les points principaux de l’Instruction sur l’entraînement dans les histoires de libération. Il résume ainsi : « Si nous vouons notre corps, notre parole et notre esprit à des activités inutiles en cette vie, alors c’est vraiment une grande perte. » Il ajoute :
La raison en est que notre corps, notre vie et toutes nos possessions ne demeurent pas même un seul instant. Ils sont impermanents et toujours changeants. Ils ont une vitesse même plus grande que la vitesse du soleil quand il se lève et se couche. Nous avons nos amis, que nous connaissons depuis longtemps ; il y a toute la richesse que nous avons amassée en risquant notre vie ; il y a nos propres endroits et terres. Ce corps ayant atteint sa maturité vient à épuisement instant après instant. Notre corps finit toujours par disparaître ; Mikyeu Dorjé comprenait cela et il ressentait fortement l’impermanence. Il avait vraiment ce sentiment inconfortable qu’il est anéanti par la naissance et la mort. De même, notre corps, nos biens, notre entourage, et le renom dépendent des résultats de notre karma passé. Quel que soit le peu de temps, de pouvoir et de capacité que nous avons en cette vie, il nous faut l’utiliser afin de ne pas souffrir et d’être heureux dans les vies futures.
Qu’est-ce que cela signifie de dire que les actions de cette vie sont dénuées de sens ou inutiles ? Quand les grands maîtres du passé disent que toute action faite pour cette vie est inutile, vaine et ridicule, c’est parce qu’ils croient aux vies futures. Sa Sainteté met l’accent sur le fait que cette vie est extrêmement courte comparée aux vies futures. En fait, cette vie ne dure pas plus qu’un bâillement de chat. Si nous ne saisissons pas cette opportunité d’être bénéfique à d’autres vies, alors c’est une grande perte.
Malheureusement, nos pensées sont erronées. Quand nous disons que tous les actes de cette vie sont dépourvus de sens, nous faisons l’erreur de penser que c’est ainsi que parle quelqu’un qui ne sait rien faire. Il faut absolument que nous entraînions notre esprit à vraiment savoir ce que cela signifie. Pourquoi dit-on que c’est inutile ? Les lamas du passé verraient tout ce que nous faisons comme inutile et ridicule. Si nous disons à un petit enfant qui joue de ne pas jouer, il va poser des questions : « Pourquoi je ne peux pas jouer ? Je m’amuse bien, non? » Ce que les gourous du passé considèrent comme inutile, nous ne le voyons pas ainsi ; nous sommes comme un petit enfant.
Sa Sainteté nous raconte une belle histoire à propos de deux érudits Kadampa célèbres, Guéshé Potowa et Guéshé Cheukyi Eusser. Un jour, les étudiants dirent à Guéshé Cheukyi Eusser : « Quand Potowa enseigne le dharma, il nous vient ce sentiment vraiment différent à l’esprit, une sorte de croyance ou de confiance. Mais quand vous enseignez, nous ne développons pas autant de certitude que quand c’est Potowa qui enseigne. Pourquoi ? » Guéshé Cheukyi Eusser ne répondit pas tout de suite. Il pensa en lui-même : « Ce n’est pas possible. Je connais le dharma mieux que Potowa. Peut-être Potowa a-t-il des instructions essentielles. » Pourtant quand Cheukyi Eusser écoutait Potowa enseigner, il avait aussi un sentiment différent. Cheukyi Eusser en parla à Potowa : « Quand je vous écoute enseigner le dharma, vous ne dites rien que je n’aie pas entendu auparavant. Mais je comprends quelque chose que je n’avais pas compris avant. » Potowa dit : « Ce que vous dites est vrai. Vous connaissez le dharma mieux que moi, mais quand je l’enseigne, je pointe la flèche vers l’intérieur. » Sa Sainteté explique que le but de Potowa était d’aider l’esprit. Au lieu de tirer la flèche à l’extérieur, il parlait et enseignait dans le but d’être bénéfique à l’esprit de l’étudiant. Les gourous du passé pensent que tout ce que nous faisons est inutile parce que nous travaillons seulement pour cette vie, et quand nous faisons cela, tout est inutile et n’a pas de sens.
Sa Sainteté s’appuie sur la vie de Mikyeu Dorjé pour souligner ce point. Mikyeu Dorjé était entièrement concentré sur les bonnes intentions et une bonne pratique ; il abandonna ce qui se centrait sur la grandeur en cette vie. Mikyeu Dorjé devint un grand lama grâce à la bodhicitta.
Il y a plusieurs traits qui définissent le caractère et la nature de Mikyeu Dorjé. Il se distinguait des êtres ordinaires qui travaillent dur seulement pour le bénéfice de cette vie. Les gens ordinaires travaillent dur pour leur propre profit mais font la perte des autres. Mikyeu Dorjé n’y trouvait aucun intérêt, il disait que c’était inutile et dénué de sens et il le pensait du fond du cœur. Quand il voyait des gens faire l’expérience de la perte ou de la souffrance, il éprouvait un sentiment très fort comme si cela lui était arrivé à lui-même. Il s’inquiétait beaucoup. Quand il entendait dire que les gens étaient heureux, il en était vraiment enchanté. Quand il entendait dire que des gourous ou des maîtres étaient en conflit, il avait un sentiment de perte considérable. Quand il apprenait qu’il n’y avait pas de conflit et que les enseignements se déroulaient bien, il était ravi et se réjouissait que la pratique du dharma se passe bien. Et il en parlait autour de lui.
Durant la vie de Mikyeu Dorjé, beaucoup de gens faisaient des offrandes mais il en faisait peu de cas et ne gardait rien. Mikyeu Dorjé assurait qu’il n’utiliserait absolument pas son corps, sa parole et son esprit pour le bien de cette vie, car il voyait ceci comme inutile. D’une perspective mondaine, on pourrait dire que Mikyeu Dorjé ne savait simplement pas faire les choses. A l’époque du 7e Karmapa, le Grand Campement avait été à la fois impressionnant et extrêmement influent pour ce qui est du dharma et de la politique. Mais une grande partie de cette influence disparut à l’époque de Mikyeu Dorjé. On peut dire que c’était sa faute car il ne prêtait pas attention à de telles choses. Cependant, si on y réfléchit, Sa Sainteté remarque que Mikyeu Dorjé ne faisait que suivre les enseignements du dharma. Il était comme ça.
Avant d’aborder la strophe suivante des Actes bons, Sa Sainteté se joint aux nonnes pour offrir bénédictions et prières dédiées à la longue vie de Khènpo Tsultrim Gyamtso Rinpoché en l’occasion auspicieuse de son 87e anniversaire. Sa Sainteté évoque la bonté de Rinpoché depuis l’époque du 16e Karmapa. Rinpoché a non seulement enseigné à de nombreux khènpos à Roumtek, mais il a aussi enseigné à Sa Sainteté une partie de la philosophie bouddhiste ainsi que les chants de Milarépa et de Gœtsangpa.
Les Trois Joyaux qui ne trompent pas
C’est la sixième et la dernière des strophes qui traite du sujet préliminaire « Entrer dans le dharma » – « Prendre refuge en les trois joyaux qui ne trompent pas »
Voici la strophe :
A l’exception du véritable protecteur – les Trois Joyaux –
aucun autre refuge ne m’a donné confiance.
Les Joyaux connaissent toutes les joies et tous les maux ;
je n’ai pas placé le moindre crédit ou le moindre espoir en quelqu’un d’autre.
Je considère ceci comme un de mes actes bons.
Dans les Instructions sur l’entraînement aux histoires de libération de Mikyeu Dorjé, il explique que les Trois Joyaux transmettent la signification du karma, de la cause et du résultat. Par exemple, certains croient de façon erronée qu’il nous faut travailler pour le bien de cette vie sinon nous serons dépourvus des biens de première nécessité que sont la nourriture et les vêtements. Cependant, selon la vue de Mikyeu Dorjé, si nous travaillons pour le bien des vies futures, non seulement nous aurons moins de souffrance en cette vie mais nous obtiendrons aussi de bonnes choses et la prospérité en cette vie. La raison en est la suivante : tous les bienfaits dont nous jouissons viennent de ce que nous avons protégé les autres de la souffrance. Si, d’un autre côté, nous ne commettons que des actes non-vertueux pour le bien de cette vie, alors plus nous obtenons de plaisir pour nous-même et plus nous causons de tort aux autres. Et quand les résultats karmiques se manifestent, nous expérimenterons une grande souffrance. Nous sommes si contaminé par l’ignorance que nous n’arrivons pas à comprendre ce cycle. Les Trois Joyaux nous l’expliquent et nous amènent à une compréhension du karma, de la cause et du résultat.
La base ou source de tout bonheur en cette vie est la bonté des Trois Joyaux. Une fois que nous avons compris ceci, nous n’allons plus vers d’autres sources de refuge. Quand nous avons la forte conviction que les Trois Joyaux ne sont pas trompeurs, même confrontés à des catastrophes naturelles, le mal causé par des ennemis ou une maladie grave, nous nous tournerons seulement vers les méthodes enseignées par le Bouddha. Nous savons qu’il n’y a pas d’autre façon d’agir. Nous avons la conviction profonde que c’est la seule manière de nous protéger et de faire le bien d’autrui.
Quand nous croyons vraiment en les Trois Joyaux, nous comprenons cela et nous engageons sur le voie monastique. Ou au moins, nous n’infligeons pas de mal aux êtres et, en retour, les autres ne nous causeront pas de tort. Nous faisons l’expérience réciproque de nous aider les uns les autres. Alors, les Trois Joyaux deviendront naturellement la source de tout bienfait et de tout bonheur. Cependant, si à la place, nous disons que nous sommes moines ou nonnes et portons des tonnes de robes du dharma mais n’abandonnons pas les pensées malveillantes et nuisons aux êtres, personne ne croira que nous sommes religieux ou pratiquants du dharma. Être une bonne nonne, un bon moine ou un bon pratiquant du dharma dépend de notre croyance en les Trois Joyaux, le karma, la cause et les résultats.
Mikyeu Dorjé dit qu’il n’avait pas la capacité de pleinement pratiquer ceci lui-même mais qu’il en avait une certaine compréhension. Sa Sainteté conclut le 11e jour d’enseignement en disant : « Il est vraiment important de comprendre ceci. C’est vraiment un point important. »