Jour 14 : le Grand Campement à l’époque du 4e Karmapa, Reulpé Dorjé

Enseignements du printemps du 17e Gyalwang Karmapa
à l’occasion de l’Arya Kshéma

La vie du 8e Karmapa Mikyeu Dorjé

7e Arya Kshéma
8 mars 2021

Après les salutations et les prières, Sa Sainteté donne une brève introduction au Grand Campement ou Garchèn car il est lié à l’histoire de libération de Mikyeu Dorjé. En particulier, cette semaine, Sa Sainteté souhaite mettre l’accent sur l’arrière-plan historique et contextuel du Campement ; il parlera des règles du Campement plus tard. 

Qu’est-ce qu’on entend par Grand Campement ?

Sa Sainteté explique que le mot tibétain gar (sgar) fait référence à des sites ou des campements qui comprennent beaucoup de tentes. Sa Sainteté précise que quand les gens se déplaçaient d’une région à l’autre, ils s’installaient dans des tentes faites de poils de yak tissés ou de tissus. A chaque événement particulier correspondait un campement spécifique : un ‘campement de l’armée’, mar gar, un ‘campement de marchands’, tsong gar, et un ‘campement du dharma’, chös gar. Au tout début, gar renvoyait à un camp composé de nombreuses tentes, et plus tard le mot devait signifier aussi un groupe de maisons. 

Quand nous parlons de gar chen, ‘grand campement’, nous ajoutons le mot chen ou grand, qui fait référence soit à la grande taille du campement soit au fait qu’il est très connu. Plus tard, on a parlé du Karma Garchèn en raison de la relation directe entre le Grand Campement et le Karmapa. Un autre terme de référence était Garpa Yabsé, ou le ‘Campement du maître et des disciples’, mais c’était probablement un terme utilisé par d’autres lignées en référence aux Karma Kamtsang.

Le Karmé Garchèn est comparable, en termes contemporains, à une compagnie qui accomplirait l’œuvre de Mikyeu Dorjé. Dans cette métaphore, Mikyeu Dorjé est comme le PDG ou le président de la compagnie. Le Garchèn fonctionnait comme le quartier général du Karmapa. Un labrang fait référence à la résidence d’un grand lama ou à l’organisation des personnes qui l’assistent. Le Garchèn était directement relié au Karmapa et fonctionnait en tant qu’administration qui organisait la lignée Karma Kagyu dans son ensemble.

De quand date le début du Garchèn ?

Sa Sainteté explique qu’il n’y a pas de source claire sur l’origine du campement autre que dans le texte de Karma Trinleypa Questions et réponses : la signification en bref des histoires de libération. En extrapolant à partir du texte de Karma Trinleypa, c’est essentiellement à l’époque du 4e Karmapa, Reulpé Dorjé, que le campement s’agrandit, que son organisation se régula et qu’il devint formellement  un vrai Garchèn. Par exemple, il semble peu probable que le Grand Campement ait commencé à l’époque des trois premiers Karmapas. Le 1er Karmapa, Dusoum Khyènpa, était un moine ordinaire qui n’accéda à la célébrité qu’à la fin de sa vie ; et, dès le début, il pratiqua essentiellement dans des retraites de montagne et ne voyageait qu’avec trois ou quatre étudiants. Le 2e Karmapa, Karma Pakshi, et le 3e Karmapa, Rangjoung Dorjé, allèrent tous deux donner des enseignements aux empereurs mongol ou Yuan. Karma Pakshi avait un style de vie très yoguique, et Rangjoung Dorjé passait son temps à écrire des traités et à faire des retraites de  méditation en solitaire. 

Comme Karma Trinleypa l’a écrit à propos du 4e Karmapa, Reulpé Dorjé, dans ses Questions et réponses : la signification en bref des histoires de libération, nous savons que le 4e Karmapa était très assidu dans sa pratique du vinaya. A partir de ce moment, le campement s’organisa et devint plus impressionnant. En outre, comme Karma Trinleypa était un étudiant du 7e Karmapa quand le Garchèn était à son apogée, Sa Sainteté conclut qu’on peut se fier à ses paroles, qui sont une base solide pour comprendre le tout début du Grand Campement. L’érudit contemporain, Dunkar Lobsang Trinlé, assure que le vrai campement organisé s’est développé à l’époque du 7e Karmapa, Cheudrak Gyatso ; mais Sa Sainteté en est arrivé à la conclusion que c’est parce que le Grand Campement a pris de l’importance à l’époque du 7e Karmapa. Sa Sainteté nous encourage à approfondir cette histoire en lisant le Cristal d’eau de la lune

Sa Sainteté nous guide à travers ses recherches sur les origines du Garchèn. Selon le grand érudit, Thoubtèn Puntsok, quand le 4e Karmapa est rentré de Chine au Tibet, beaucoup parmi les fidèles – moines et laïques – ne supportaient d’être éloignés de leur gourou. Pour cette raison, ils le suivirent jusqu’à Tsourpou et installèrent un campement près de sa résidence. Ils passaient leur temps à pratiquer et s’efforçaient selon leurs capacités. Voici donc, en fait, l’origine du campement du dharma.

Résumé des points importants de la vie du 4e Karmapa, Reulpé Dorjé

Sa naissance : comme les histoires montrent que le Grand Campement vit ses débuts avec le 4e Karmapa, Sa Sainteté résume les points clés de la vie de Reulpé Dorjé, en commençant par le décès du 3e Karmapa, Rangjoung Dorjé. Rangjoung Dorjé mourut dans le palais de l’empereur mongol, dans la capitale de la dynastie Yuan, Xanadu. Avant de mourir, Rangjoung Dorjé avait prédit qu’il reprendrait naissance dans la région orientale du Kongpo. C’est près du lieu de naissance de Reulpé Dorjé à Namdzong, Gochèn Pangkar dans la région de Ngœ ( connu aujourd’hui comme Alanka, Jiagong, Bianba et Chengdou).

Le père de Reulpé Dorjé s’appelait Seunam Deundroup et sa mère Dzomsa Tseundru. Il était du clan Dong Minyak et naquit l’année de Fer-Dragon Mâle (1340), le 8e jour du 3e mois et il mourut à l’âge de 44 ans. Tokdèn Gœnpo Gyaltsèn reconnut Reulpé Dorjé comme la réincarnation de Rangjoung Dorjé. Ses trois gourous principaux furent : Gyalwa Youngteunpa, Tokdèn Gœnpo Gyaltsèn et Tokdèn Dargyalwa. Il prit la pleine ordination avec Deundroup Pal, le Khènchèn de Guèndun Gang, et son nom d’ordination était Dzamling Cheukyi Drakpa. Quand nous voyons le nom Dzamling Cheukyi Drakpa, nous savons que c’est Reulpé Dorjé. 

Reulpé Dorjé était connu pour son adhésion stricte au vinaya et il encourageait ses serviteurs à suivre une discipline pure. Sa Sainteté donne des exemples montrant comment ils maintenaient tous une discipline vertueuse en ne mangeant que les trois nourritures blanches, le lait, le sucre et le beurre. Et s’ils voyaient quelqu’un avec de la viande ou des os, ils les critiquaient.

Ses rêves lucides : 

Sa Sainteté décrit la capacité de Reulpé Dorjé à produire des émanations dans ses rêves ; il avait un grand pouvoir sur les rêves lucides. La nuit, par exemple, Reulpé Dorjé laissait autour de lui de nombreux textes ouverts avant de s’endormir, et pendant son sommeil, il émanait de nombreux corps. Quand il se réveillait, il savait ce qui était dit dans chacun des textes. Comme l’a dit Reulpé Dorjé : « La manière dont je fais des rêves lucides n’est pas différente de la manière dont les illusionnistes créent différentes illusions. » 

Selon Karma Trinleypa, Reulpé Dorjé avait un niveau de connaissance innée très élevé ; aussi, il n’avait pas besoin d’étudier beaucoup mais il étudiait quand même. De tous les Karmapas avant le 8e Karmapa, Mikyeu Dorjé, Reulpé Dorjé comprenait la ‘validité’ et la ‘voie du milieu’. Il était aussi un poète doué. Alors que Karmapa Rangjoung Dorjé écrivit les célèbres Cent contes des Jataka, un des plus beaux textes, ce fut Karmapa Reulpé Dorjé qui écrivit la plus belle poésie. Il eut aussi beaucoup d’étudiants incroyables comme Shamar Khacheu Wangpo.

Le Gandhola de Jowo

Grâce à une série de diapositives et d’histoires détaillées, Sa Sainteté explique l’une des principales images, le Gandhola de Jowo, qui est central dans la lignée Karma Kamtsang. L’histoire commence l’année de Feu-Singe (1356), quand le 14e empereur de la dynastie Yuan, le Mongol Toghon Temür (1320-1370 – règne :  1333-1370) et son fils, le prince héritier Ayushiridara (1339-1378 – règne : 1370-1378), envoyèrent de grandes offrandes et une invitation à Reulpé Dorjé. Le 5e mois de 1358, Reulpé Dorjé quitta Tsourpou à l’âge de 19 ans et suivit la route du nord, avec des arrêts aux monastères de Karmé et de Lhateng sur le chemin. 

Dans l’histoire du dharma, Un Festin pour les érudits, il est dit qu’environ à la même époque, cinq yogis arrivèrent d’Inde et dirent à Reulpé Dorjé qu’ils allaient au Mont Wutaï en Chine. Ils lui donnèrent une représentation sculptée dans l’arbre de la Boddhi par Nagarjouna, appelée le Gandhola de Jowo. A partir de là, l’image du Gandhola de Jowo devint une représentation essentielle pour Reulpé Dorjé ; il faisait quatre sessions par jour avec des prosternations et des offrandes devant l’image et des circumambulations autour d’elle. Ceci produisait une forte impression sur son entourage et les encourageait à pratiquer la vertu. 

Sa Sainteté montre une diapositive d’une thangka de Reulpé Dorjé, qui vient des thangkas de la lignée Kagyu conservées au monastère de Palpoung. Sa Sainteté attire notre attention sur le coin de la thangka où l’on distingue les cinq yogis indiens en train d’offrir le Gandhola. Sa Sainteté explique que cette représentation s’appelle ‘Gandhola’ parce qu’en Inde, les temples où le Bouddha a séjourné s’appellent Gandhakuti ou Gandhalaya, et Gandhola est une déformation de ces termes. En tibétain, on l’appèlerait ‘le temple parfumé’. Le Gandhola devint le sanctuaire principal pour les Karmapas successifs. Quand ils prenaient les vœux de novice ou de pleine ordination, ils prenaient leurs vœux en sa présence. Par exemple, si nous regardons l’histoire de libération du 7e Karmapa, écrite par Goshri Paljor, il note :

Le support suprême de méditation des incarnations successives du détenteur de la Coiffe noire, les émanations du 6e Bouddha Rugissement du lion, s’appelle le Gandhola de Jowo. En présence de l’image incomparable, une sculpture claire de mille bouddhas dans le matériau extraordinaire du bois de la bodhi, un temple Gandha merveilleux et suprême, furent coupés les cheveux du grand être qui fut notre guide.

Ainsi, c’est devant ce sanctuaire que le 7e Karmapa se fit couper les cheveux et prit les vœux de novice. La tradition de faire des offrandes – grandes ou petites – débuta à l’époque du 7e Karmapa. 

Sa Sainteté expose avec enthousiasme un aspect passionnant de sa recherche : « Il y a quelques jours, j’ai eu une bonne surprise ; j’ai reçu Un catalogue du Gandhola, l’image suprême du Grand Campement de Shamar Keunchok Yènlak. Il y est dit que le principal objet sacré du campement a sept qualités excellentes : le matériau, l’image, le fabriquant, l’origine, le pouvoir, l’activité et les bénédictions. » Malheureusement, il manque les pages concernant le fabriquant et l’origine. 

Le Karmapa détaille ces qualités d’après le texte :

  1. Le matériau excellent : il est fait avec du bois de l’arbre de la Bodhi à Bodhgaya.
  2. L’image excellente est la description de la statue de la Mahabodhi et du temple Gandhola construit autour de la statue par l’empereur Ashoka, et le fait qu’on peut voir la statue à travers la porte.
  3. La troisième excellence est le fabricant.
  4. La quatrième excellence est l’origine. 
  5. Le pouvoir excellent est que, où que l’on apporte l’image, la terre tremblait, il y avait des éclairs ; tous les feux, les inondations, les poisons, les armes, la maladie, la faim, les conflits, etc. étaient pacifiés et ne se produisaient pas. 
  6. L’activité excellente est que, comme le Karmapa – incarnation de l’activité de tous les bouddhas – s’est prosterné devant et lui a présenté des offrandes, on l’apportait dans de nombreux lieux en Inde, au Tibet et en Mongolie pour faire le bien des êtres. 
  7. Les bénédictions excellentes sont que, juste comme il est dit dans les soutras de la Prajnaparamita, on ne fera pas de mal aux êtres qui pénètrent dans la zone autour du siège vajra sauf si c’est un karma à pleine maturité. Puisque l’image est faite du bois de l’arbre de la Bodhi, elle avait les mêmes bénédictions que le lieu sacré de Bodhgaya. De même, se visualiser ou faire des visualisations en face en présence de cette image apportait des bénédictions plus fortes et plus rapides que de méditer sur d’autres divinités de yidam.

Cependant, le Gandhola semble disparaître des registres après l’époque du 10e Karmapa, quand le mongol Güshi Khan détruisit le Grand Campement. Mais, Rinchèn Palsang, secrétaire particulier du 16e Karmapa, a noté que le gouvernement tibétain régional avait pris l’image alors que le 16e Karmapa était au Tibet. Sa Sainteté remarque cependant que la publication de 1976 par Nik Douglas et Meryl White, intitulée Karmapa : le lama à la Coiffe noire du Tibet, comprend des photos de certains des objets sacrés que le 16e Karmapa avait emportés avec lui quand il a fui le Tibet. Dans ce livre, on trouve des entrevues avec le 16e Karmapa et ses fils de cœur au Sikkim, ainsi qu’une représentation du Bouddha faite par Nagarjouna. Au-dessous de l’image, on peut lire :

La statue du Seigneur Bouddha, montrant des événements miraculeux de sa vie. Celle-ci est l’une des deux représentations qui furent offertes au Karmapa Reulpé Dorjé par cinq saints hommes indiens qu’il avait rencontrés sur la route de la Chine. Cette statue fut faite par le Siddha Nagarjouna, dans un matériau pareil au métal qui avait été récupéré dans le lac magique de l’espèce des serpents (Nagas). Elle est conservée au nouveau monastère de Roumtek, au Sikkim. 

Sa Sainteté suppose que cette représentation doit être le Gandhola, mais même dans les catalogues et les histoires orales du monastère de Tsourpou, il n’est pas du tout fait mention que ce soit le Gandhola. Il se peut qu’il y ait une histoire derrière tout cela, explique Sa Sainteté, car comme c’était le principal objet sacré du Grand Campement, certains s’inquiétaient qu’on s’en empare. Pour cette raison, on en a minimisé l’importance et le terme Gandhola n’a pas été utilisé. Sa Sainteté espère que si quelqu’un en sait d’avantage, il pourra offrir une explication. 

Reulpé Dorjé diffuse le dharma pendant ses voyages

Puis, Reulpé Dorjé poursuivit son voyage vers l’est. Il arriva dans un lieu qui s’appelait Machuy Ling, dans la région actuelle de l’Amdo, où il enseigna le dharma. L’été suivant, une fleur apparut au pied du trône où il avait enseigné. On n’avait jamais vu cette fleur auparavant ; elle avait une tige et huit rameaux. Chaque rameau avait huit fleurs, avec une corolle rouge et un calice jaune. Tous ceux qui la virent ou en entendirent parler trouvèrent la chose bien étrange. A l’époque, un moine, Guéshé Kyurou Teunpa, dit que cette fleur était vraiment étonnante, et pensant que cette fleur aiderait les gens à développer leur foi, soit il en dessina une image, soit il en prit l’empreinte. Il distribua largement ces représentations dans la région et on dit que quiconque vit l’image développa la foi. 

Quand Reulpé Dorjé arriva dans la région frontalière entre la Chine et le Tibet, alors même qu’il y avait des conflits latents, il régla tous les différends, et tout le monde s’engagea à ne pas se battre pendant vingt-cinq ans.  

L’empereur avait envoyé un message où il exprimait son désarroi si Reulpé Dorjé ne se décidait pas à venir le voir. Aussi le Karmapa se rendit au monastère de Lintao, fondé par Drogœn Cheugyal Pakpa, où il rencontra Khènpo Paldèn de Lintao. L’empereur mongol avait aussi invité Sakya Pandita, qui avait construit Trulpay Dé. Reulpé Dorjé alla aussi à Miniak où il enseigna le dharma à un grand nombre de gens de différentes nationalités grâce à des traducteurs mongol, ouïgour et chinois. Pendant le voyage, il prit froid. Il dit à son serviteur qu’il allait se soigner grâce à un rêve lucide et lui donna l’instruction de ne pas le réveiller. Plus tard, quand il se réveilla, il expliqua comment il s’était complètement guéri :

Dans mon rêve, je suis allé au palais du Potala où j’ai vu Chènrézi rouge qui tenait un vase de nectar d’amrita. Il me l’a donné et, après l’avoir bu, j’ai fait une expérience de félicité, de clarté et de non-pensée, et mon rhume était guéri.

L’année du Rat, le 12e mois de 1360, Karmapa Reulpé Dorjé arriva à la capitale Yuan de Daidu (Khanbaliq, près de Beijing). Il séjourna dans un endroit qui s’appelait le Temple bleu, et conféra de nombreuses initiations à l’empereur et au prince héritier, dont Vajrayogini, les Six yogas de Naropa, et Mahamoudra. Il donna aussi au prince héritier les initiations supplémentaires de Gyalwa Gyatso, des 100 Contes des Jatakas, le Commentaire racine sur le Continuum sublime, le Commentaire racine sur les soutras, le Commentaire racine sur Kalachakra, et des textes indiens en rapport. Pendant deux années civiles, il donna des instructions à d’autres membres de la famille royale, des ministres importants, des religieux et des communautés de Mongoles, Ouïgours, et Coréens.

Puis, un jour, Karmapa Reulpé Dorjé dit à Guogong Rinchèn Pal que la situation politique de la dynastie Yuan n’était pas stable, que l’empereur n’allait pas vivre encore bien longtemps, et que, même s’ils restaient, ils ne pourraient rien faire pour empêcher que l’avènement de situations funestes. Pour cette raison , il fit la requête de rentrer au Tibet mais il n’en reçut pas l’autorisation. Une fois, quand le Karmapa faisait sa requête, le prince héritier se mit à pleurer en disant : « Précieux gourou, veuillez rester et nous entourer avec compassion. » C’était la première fois que quelqu’un de la dynastie Yuan versait des larmes pour le Karmapa. Puis, deux ministres, Ma O Jang Ching Sang et She Ra Muan Ching Sang, vinrent voir le Karmapa, se prosternèrent, et dirent : « Depuis que vous êtes arrivé, toutes les épidémies se sont arrêtées, et le prince héritier a eu un fils. » C’était pendant les derniers temps de la dynastie Yuan et de nombreux conflits avaient éclaté dans beaucoup de régions ; mais tous les conflits s’étaient temporairement apaisés et la région avait connu la prospérité pendant le séjour de Karmapa Reulpé Dorjé. L’empereur et le prince héritier lui firent tous deux la requête de rester, des larmes plein les yeux. On le connaissait comme le ‘Gourou auspicieux qui apporte de bonnes récoltes’. Ils lui demandèrent aussi de s’engager dans des activités politiques, mais Reulpé Dorjé répondit :

J’ai rendu de nombreux services et prié les Trois joyaux au nom de l’empereur et du prince héritier. Je n’ai aucun besoin de décrets ou de rang en lien avec les affaires politiques, pour lesquelles je n’ai aucun talent. Les moines doivent aller là où c’est le mieux pour le bien des enseignements et des êtres. Si un moine demeure dans un pays et s’y attache, cela n’est pas bon. Un bon pratiquant est quelqu’un qui n’est attaché à aucun pays.

Les ministres enregistrèrent ces paroles. Comme il le demandait si sincèrement, le Karmapa fut autorisé à retourner au Tibet et on lui donna des chevaux et des provisions pour le voyage de retour dans l’ Ü-Tsang.

Le non-sectarisme de Karmapa Reulpé Dorjé et ses actes miraculeux

La vie de Karmapa Reulpé Dorjé illustre aussi sa générosité et son implication dans toutes les écoles tibétaines. Il demanda le titre de Guoshi pour Khènpo Paldèn Chok de Lintao, le monastère de Drogœn Cheugyal Pakpa. Il résolut la situation du 1er Seigneur de Pakdrou, Jangchoup Gyaltsèn. Selon Karma Trinleypa, Jangchoup Gyaltsèn avait été calomnié par quelqu’un du Tibet, ce qui avait créé des problèmes entre lui et l’empereur Yuan. Reulpé Dorjé régla la question et demanda que l’empereur donne à Jangchoup Gyaltsèn le titre de Taï Sitou. Quand les Pakdrou avaient pris le pouvoir au Tibet, la position des Sakya avait décliné, mais Karmapa Reulpé Dorjé établit une connexion du dharma avec le lama Sakya, Dampa Seunam Gyaltsèn, et reçut des enseignements de sa part, ce qui contribua à relever le statut des Sakyas.

De même, 50 ans avant la naissance de Karmapa Reulpé Dorjé, il y avait eu une révolte dans l’Ü-Tsang menée par les Drikoung, qui avait causé beaucoup de victimes. Il en résulta un grand conflit entre les Sakya et les Drikoung. Cependant, Karmapa Reulpé Dorjé redressa la relation entre les deux écoles et aida à la reconstruction des monastères Drikoung. De même, il demanda à  l’empereur de faire le bien de tous les grands monastères et lamas du Tibet, quelle que soit leur tradition. 

Quand Karmapa Reulpé Dorjé était dans la province de Gansu, de nombreuses personnes vinrent le voir, certains à cheval ou à dos de chameau. Tous les matins, Karmapa Reulpé Dorjé faisait ses prières et, entre les repas, il donnait des bénédictions et des initiations sans interruption, pendant 19 jours, sans faire de pause ni rencontrer de difficultés. A l’époque, il reçut des offrandes et une invitation du roi mongol, Tologh Temur, mais il n’y alla pas.

Sa Sainteté raconte alors une histoire miraculeuse selon laquelle Reulpé Dorjé mit fin à une épidémie, histoire rapportée par son serviteur Guogong Rinchèn Pal. Rinchèn Pal était au courant de beaucoup de secrets, mais quand il commença à les écrire, le Karmapa expliqua que ce n’était pas une bonne idée car les gens risquaient de ne pas y croire. Et s’ils n’y croyaient pas, ils risquaient de perdre la foi. Cependant, Rinchèn Pal pensait que ces histoires pouvaient être bénéfiques aux êtres s’il les partageait, et c’est la raison pour laquelle nous les avons encore de nos jours, explique Sa Sainteté.

A l’époque de son séjour dans la province de Gansu, il y eut une grande épidémie et beaucoup de gens en moururent. Guogong Rinchèn Pal était inquiet pour leur sécurité, aussi il dit au Karmapa : « Il y a un grand danger. Que fait-on ? » Le Karmapa répondit : « Ce soir, je vais faire un rêve lucide et je verrai si je peux faire quelque chose. Ne me réveille pas. » A la fin de sa méditation et de ses prières, il alla dormir. Pendant ce temps, Guogong Rinchèn Pal resta éveillé et le regarda. Juste avant le lever du soleil, on entendit un claquement et une explosion sur le toit. Reulpé Dorjé se réveilla immédiatement et il demanda à Guogong Rinchèn Pal si quelque chose s’était produit au-dessus de la maison. Guogong Rinchèn Pal répondit : « J’ai cru que la maison allait s’effondrer. » Puis le Karmapa dit : « Maintenant l’épidémie ne va pas se propager dans cette région. » Et Guogong Rinchèn Pal demanda : « Comment cela se fait-il ? Qu’avez-vous fait pour mettre fin à l’épidémie ? » Reulpé Dorjé expliqua à Guogong Rinchèn Pal que, dans son rêve, il y avait beaucoup de monstres et une déesse particulièrement  frénétique. Alors, pour cette raison, Reulpé Dorjé avait fait apparaître une émanation sous la forme d’un grand oiseau garouda, qui recouvrit toute la province de Gansu. Dans son rêve, il avalait tous les monstres et les déesses, il les réduisait en cendres par le feu de son estomac et puis il les rejetait sous forme d’excréments. Comme il avait la forme d’un garouda, il avait atterri sur le toit du bâtiment. Reulpé Dorjé expliqua que c’était une émanation mentale et qu’il était étrange qu’il y ait eu des bruits à l’extérieur car il n’y avait pas de forme. Suite à cela, l’épidémie disparut à Gansu et tout le monde recouvra la santé. 

Pendant son séjour à Gansu, il reçut des chevaux, des bœufs, de l’argent et d’autres offrandes innombrables qu’il envoya en Ü-Tsang pour qu’elles soient distribuées à tous les monastères, quelle que soit la tradition à laquelle ils appartenaient. Cette tradition de faire des offrandes aux moines de tous les monastères dura jusqu’à l’époque du 10e Karmapa. Ceci montre que le 4e Karmapa était sans préjugé ni sectarisme ; il rendait hommage et faisait des offrandes à tous les monastères. 

Reulpé Dorjé poursuivit son voyage vers le Tibet ; il arriva dans la région de Tsongkha dans l’Amdo et rencontra un très jeune Tsongkhapa. Reulpé Dorjé lui conféra les vœux d’ordination de novice et le nom de Kunga Nyingpo. Le 4e Karmapa fit aussi la prédiction que Tsongkhapa devrait aller dans l’Ü-Tsang, et plus tard, quand Tsongkhapa se rendit effectivement en Ü-Tsang, il devint comme un deuxième bouddha pour les enseignements au Tibet.  

La thangka en soie de la taille d’une montagne

Reulpé Dorjé visita de nombreux endroits comme le monastère appelé « le Bol de crème », près de la retraite de montagne du nom de Pal Tsotra. Pendant son séjour, une bienfaitrice fortunée, Lady Punyadhari, fit un rêve dans lequel on lui disait de construire une représentation du Bouddha de la taille d’une montagne pour accomplir l’intention du grand Miniak, Prince Ratna, qui était mort. Ainsi, elle demanda à Reulpé Dorjé de faire cette thangka ; il répondit : « Si vous voulez faire quelque chose de la taille d’une montagne, il vous faut aller à la montagne. » Beaucoup eurent des doutes et secouèrent la tête, déconcertés par l’idée qu’on puisse faire une image de la taille d’une montagne. Karmapa Reulpé Dorjé sourit et dit : « Il vous faut faire une grande représentation du Bouddha en ‘appliqué’ et la coudre. »

Alors, tous les gourous, les seigneurs et les artisans se réunirent pour faire une représentation du Bouddha en ‘appliqué’ de la taille d’une montagne. Il calma leur confusion en leur demandant à tous d’aller à la rivière chercher des pierres lisses et rondes, de la taille d’un poing. Dans l’histoire orale, l’Histoire du dharma : un Festin pour les érudits, il est rapporté que Reulpé Dorjé était à cheval et dirigeait les artisans afin qu’ils placent les pierres blanches dans les empreintes des sabots du cheval. Il fit plusieurs tours à cheval et les gens mettaient une pierre dans chacune des empreintes jusqu’à avoir un dessin du Bouddha. Puis, Reulpé Dorjé leur demanda de marquer la taille exacte et les proportions. Et il créa ainsi tout le dessin pour la thangka. Le Karmapa lui donna 1900 ‘sang’ d’argent pour le coût de la soie, et la thangka fut réalisée par 500 tailleurs.

Sa Sainteté fait un geste, d’une oreille à l’autre, pour expliquer la dimension de cette image qu’il décrit ainsi : « De l’oreille droite à l’oreille gauche, elle mesurait 11 envergures de bras, ce qui faisait pratiquement la taille de 11 personnes. » C’était  l’image d’un bouddha assis en tailleur, avec Manjoushri à sa droite et Maitreya à sa gauche. Quand Reulpé Dorjé consacra la thangka, de nombreux signes auspicieux tels que des arcs-en-ciel apparurent.

Pour nous aider à comprendre la taille véritable et la beauté des détails de cette représentation, Sa Sainteté montre une diapositive de sa propre illustration de cette thangka de la taille d’une montagne, majestueusement accrochée à un pic montagneux. Sa Sainteté explique que la thangka devait avoir une taille comparable à la Statue de la Liberté à New York. Elle était incroyablement grande. 

Ensuite, ils offrirent la thangka à Reulpé Dorjé qui la ramena au Tibet. Dans l’Histoire du dharma : un Festin pour les érudits, l’image du Bouddha fut transportée dans 32 paquets séparés, plus 8 paquets pour les panneaux latéraux. Dans l’histoire de libération de Karma Keunsheun, il est dit que le transport de la thangka avait nécessité 70 dzos, un hybride de yak et de bovin. Une fois au Tibet, on donna l’un des panneaux latéraux au monastère Pakdrou et l’autre au monastère Drikoung. La représentation principale du Bouddha fut conservée au monastère de Shokha au Kongpo, mais elle fut plus tard endommagée par le feu. Les différentes sections furent divisées. Il manquait trois panneaux mais ils furent refaits à Tsé Lhakhang. La partie supérieure du corps était à Tsé Lhakhang et elle fut plus tard conservée en un seul lieu. Cette grande thangka de soie est une des premières du Bouddha réalisée en ‘appliqué’. Où se trouve-t-elle maintenant ? Malheureusement, elle n’existe plus ; l’armée de Gushi Khan la déchira et la brûla. Comme c’était un objet vraiment important et une image bouddhiste sacrée, Sa Sainteté l’a dessinée pour nous donner une idée de ce à quoi elle ressemblait. 

La fin de la vie auspicieuse de Reulpé Dorjé

Reulpé Dorjé se rendit dans la région des grottes  de Dunhuang où il y avait alors 3700 temples. Parmi eux, certains avaient été construits par les empereurs mongols, certains par les empereurs chinois et certains par le roi tibétain Tri Ralpachèn. Durant le séjour de Reulpé Dorjé dans cette région, beaucoup de gens vinrent lui faire des offrandes. Il y avait des lampes perpétuelles qui devaient brûler nuit et jour pour restaurer les temples. Ceci montre sa connexion avec le lieu. Il traversa aussi les régions de l’Amdo et du Kham et retourna au Kongpo, au lieu sacré de Tsari. Il ouvrit le lieu qui, à partir de là, devint un lieu de pèlerinage et de retraite. Il alla aussi en pèlerinage dans d’autres lieux sacrés au Kongpo.

Puis, il se rendit à Nachopa. Comme il allait y avoir une pénurie de bois de chauffage, le Karmapa demanda qu’on apporte du bois de cyprès. Sa Sainteté explique que les restes du 3e Karmapa, Rangjoung Dorjé, avaient été incinérés avec du bois de santal en Mongolie ; mais, comme il n’y avait pas de bois de santal au Tibet, on utilisait du bois de cyprès. Ils installèrent le campement à Nachopa sur une belle montagne recouverte de prairie. On disait que, si un bhikshu pur était incinéré à cet endroit, les armées chinoises ne viendraient pas au Tibet. 

A l’âge de 44 ans, l’année Eau-Cochon, le 3e jour du 7e mois, Reulpé Dorjé commença à se sentir mal. Il y avait des signes tels que des tremblements de terre, des arcs-en-ciel, des pluies de fleurs, etc. Le 15e jour, il fit 52 circumambulations et des prières, puis il décéda. On construisit un stoupa de rocher et de pierre pour célébrer sa vie auspicieuse et, selon Tsouglak Trènwa, des animaux tournaient autour de ce stoupa. 

En conclusion

Sa Sainteté conclut l’enseignement par une brève histoire à propos du serviteur et étudiant principal de Reulpé Dorjé, Guogong Rinchèn Pal. On raconte qu’un jour où le 3e Karmapa, Rangjoung Dorjé, résidait près du monastère de Tsourpou, il y avait beaucoup d’enfants qui jouaient et ramassaient des bouses de vache. A un moment, un chien s’échappa et les enfants eurent si peur qu’ils partirent en courant dans toutes les directions. Mais il y eut un enfant qui ne s’enfuit pas. Au lieu de cela, il prit un panier pour les bouses et une corde, et il piégea le chien et le fit courir autour du panier. Tout le monde pensa :’ Cet enfant est bien intelligent.’ Rangjoung Dorjé fut témoin de la scène et dit : « Donnez-moi cet enfant, s’il vous plaît. » Les parents offrirent l’enfant à Rangjoung Dorjé qui prédit que l’enfant aurait une grande influence. C’était Guogong Rinchèn Pal ; aussi bien les princes chinois et mongols que les dirigeants tibétains, tous l’appelaient « le Grand Maître » et ne l’appelaient pas Rinchèn Pal. Il laissa une empreinte majeure sur les enseignements. Ses dates sont incertaines mais il vécut de la fin de la vie de Rangjoung Dorjé jusqu’à la période où il reçut de nombreux enseignements de Reulpé Dorjé. Sa Sainteté partage cette information car son enseignement venait essentiellement d’un autre étudiant de Reulpé Dorjé, Karma Keunsheun, qui étudia au premier shédra tibétain, Sangpou.

Sa Sainteté redit que la vie de Reulpé Dorjé est centrale pour comprendre tout le contexte du Grand Campement, le Garchèn. Pendant sa vie, le Gandhola était l’objet sacré principal et la règle principale du campement était l’interdiction de la viande et de l’alcool. Sa Sainteté mentionne qu’il donnera des précisions sur le règlement du Grand Campement au cours des enseignements suivants.

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