Enseignements du printemps du 17e Gyalwang Karmapa
à l’occasion de l’Arya Kshéma
La vie du 8e Karmapa Mikyeu Dorjé
7e Arya Kshéma
10 mars 2021
Pratiques de l’individu de capacité supérieure
Sa Sainteté commence par la section des versets autobiographiques, les Actes bons, qui décrit la manière dont Mikyeu Dorjé a pratiqué le chemin de l’individu supérieur.
Cette section est divisée en trois sous-sections :
- L’intention : faire naître la bodhicitta
- Prendre l’adversité comme chemin dans la post-méditation
- Comment il s’est entraîné aux préceptes des deux bodhicittas
La première sous-section correspond à la 9e strophe des Actes bons :
Tous les êtres sans distinction sont semblables à mes parents.
Il n’y a pas de logique à les mettre dans un camp, celui des amis ou des ennemis.
Avec un amour sans contrainte pour les êtres vivant dans des états intolérables,
J’ai pensé : quand pourrai-je leur apporter les bienfaits de l’éveil véritable ?
Je considère ceci comme un de mes actes bons.
La cinquième strophe de Il chercha pleinement … a le même sens. Selon le 5e Shamar Rinpoché, le sujet en est, ‘la générosité transcendante, l’amour, etc. et la diligence transcendante du non attachement etc.’
La strophe dit ceci :
Son esprit jamais séparé de l’amour et des affres de la compassion,
Son souhait d’émancipation était absolument pur.
Il se désespérait toujours de la souffrance et de ses causes
et réfléchissait à l’impermanence ; à lui j’adresse ma prière.
Sa Sainteté fait remarquer qu’il en a déjà parlé en lien avec les préliminaires sur l’entrée dans le dharma, mais ceci s’applique aussi aux pratiques de l’individu de capacité supérieure ; donc il va en parler dans ce contexte.
Dans les Instructions pour l’entraînement dans l’histoire de libération, Mikyeu Dorjé conseillait à ses étudiants de rejeter les perturbations et de réaliser le non-soi. Voilà ce que nous devons nous efforcer de faire. Un nombre incalculable d’êtres sont dominés par le voile des perturbations, et beaucoup sont bien loin de l’état de parfait bouddha, le bonheur suprême. C’est pour cette raison qu’il est important que tous les êtres atteignent l’état de bouddha. Ce n’est pas très utile si c’est le cas de seulement quelques uns. Pour atteindre cet état, nous devons avoir de la compassion pour les êtres qui n’ont pas de guide, même pour les arhats qui sont passés dans le nirvana (un état de paix qui transcende la souffrance) mais qui n’ont pas encore réalisé l’éveil complet, l’état de bouddha. Nous devons abandonner le désir de paix des arhats, et il va sans dire que nous devons aussi abandonner le désir de richesse et d’opulence en cette vie. Si nous avons le véritable souhait d’atteindre l’état de bouddha, nous ne devons avoir aucun désir d’être célèbre, riche, etc. Nous ne devons même pas en avoir le moindre espoir.
Ainsi, quand nous voyons certains lamas s’enrichir ou devenir célèbres, nous ne les envions pas. En l’absence de désir, il n’y a pas de place pour la jalousie. De nos jours, certains assurent qu’ils n’aspirent ni à l’existence ni à la paix, mais au fond d’eux-mêmes, ils s’inquiètent du succès d’autres lignées. Ce sujet les tourmente, et leur seul souci est de trouver comment faire pour que ‘nos’ enseignements se diffusent et pour nuire aux autres enseignements. Voilà quelle est leur pratique principale et c’est en totale contradiction avec la voie du bodhisattva. Nous ne devons pas nous contenter de voir seulement quelques êtres atteindre l’état de bouddha. Nous devons nous consacrer à aider tout le monde à obtenir la réalisation, et éprouver une compassion insupportable pour tous les êtres. Alors, générer la bodhicitta ne se résout pas à des mots, c’est une pratique authentique.
Le Gandhola : sa forme, son apparence et son histoire
Sa Sainteté revient sur le sujet du Gandhola sacré. La fois précédente, il a parlé de son origine, et aujourd’hui il va expliquer comment il est apparu, sa forme, son apparence et ce qui lui est arrivé après la destruction du Grand Campement.
De façon étonnante – puisqu’il avait été donné au 4e Karmapa – le namthar écrit par les disciples directs de Reulpé Dorjé, tels que Karma Keunsheun, Tsourpou Kunpangpa et Shamar Keunchok Tènlak, ne le mentionne pas. Il n’apparaît pas non plus dans les Annales rouges de Tsalpa, qui furent probablement écrites l’année où le 4e Karmapa se rendit en Chine. Il est mentionné pour la première fois dans le namthar du 7e Karmapa, écrit par Goshri Paljor Deundroup. Goshri écrivait : « le suprême support de méditation des incarnations successives du détenteur de la Coiffe noire, les émanations du 6e Bouddha Rugissement du lion, s’appelle le Gandhola sacré. » La question qui se pose est la suivante : pourquoi n’en a-t-on rien écrit avant ? Sa Sainteté présume que cela tient à la façon dont le Gandhola est arrivé en la possession de Reulpé Dorjé.
Le Karmapa a récemment reçu deux copies d’un vieux manuscrit de Shamar Keunchok Yènlak, et les deux versions manuscrites de ce texte mentionnent le Gandhola. Mais c’est un peu décevant car, dans les deux versions, les scribes ont omis une page où l’on décrit qui l’a fait et comment il est arrivé en la possession du Karmapa. Cependant, l’Histoire des monastères Karma, écrite par Karmé Khènchèn Rinchèn Dargyé, indique clairement comment le Gandhola est arrivé au Karmapa.
A l’époque, c’est le neveu de Karma Pakshi et ensuite ses descendants en ligne directe qui supervisaient le fonctionnement de Karma Gœn. Ils étaient nombreux dans ce lignage à porter le titre de Sitou. Sitou Arlapa était le superviseur de Karma Gœn quand le Gandhola apparut. Quand Reulpé Dorjé vint à Karma Gœn, alors qu’il se rendait en Chine, il enseigna les Six yogas de Naropa, et l’endroit était rempli de retraitants qui faisaient ces pratiques. Sitou Arlapa alla pratiquer en retraite fermée dans un lieu proche du monastère.
Pendant son absence, sept acharyas indiens vinrent à Karma Gœn pour voir le ‘Karma gourou’ (le Karmapa), mais Reulpé Dorjé était déjà parti en Chine. Ils demandèrent alors à rencontrer Sitou Arlapa, mais il était en retraite. Le serviteur dit qu’il allait demander au gourou mais ils répondirent qu’ils partaient chercher le Karmapa en Chine. Ils laissèrent une boîte au serviteur et lui demandèrent de la confier à son gourou jusqu’à leur retour. Le serviteur donna la boîte à Sitou Arlapa et celui-ci demanda au serviteur d’aller chercher les acharyas, mais ils avaient disparu sans laisser de trace. En fait, les Indiens n’étaient pas vraiment des acharyas, ils étaient des émanations du Karmapa et ils ne revinrent jamais. Ces émanations étaient allées à la grotte de Tau Shel et là-bas, ils avaient ouvert un trésor sacré. Ils en avaient sorti le Gandhola et l’avaient apporté à Karma Gœn où il fut placé dans une boîte sur un autel jusqu’au retour de Reulpé Dorjé. Celui-ci posa alors des questions sur la boîte et on l’ouvrit ; le Gandhola était à l’intérieur avec une lettre qui décrivait son histoire. Reulpé Dorjé fit des offrandes et à partir de là, l’objet devint le Gandhola sacré.
Tous ces renseignements sont dans le texte de Karma Khènchèn Rinchèn Dargyé. Dans un enseignement précédent, le Karmapa avait montré une thangka de la lignée, conservée au monastère de Palpoung, sur laquelle on peut voir cinq acharyas offrir le Gandhola à Reulpé Dorjé. Mais les histoires révèlent que le Gandhola ne fut pas offert directement à Reulpé Dorjé ; il fut confié à Sitou Arlapa et la boîte ne fut pas ouverte avant le retour de Chine du 4e Karmapa. Peut-être c’est la raison pour laquelle les histoires de libération écrites par les disciples directs de Reulpé Dorjé ne mentionnent pas l’incident. La source de Karma Khènchèn Rinchèn Dargyé était probablement le Catalogue du Gandhola ou un autre vieux manuscrit du 5e Shamar, Keunchok Yènlak. Un autre récit dans la Guirlande d’or des biographies Kagyu dit ceci : « Sept acharyas émanés offrirent le Gandhola à Sitou Arlapa ou Tsultrim Gyaltsèn, le fils de Adü, qui assumait la responsabilité de Karma Gœn. » Ces deux récits se correspondent bien.
Un autre sujet est la forme ou l’apparence du Gandhola. La thangka de Palpoung montre une offrande qui a la forme du temple de la Mahabodhi à Bodhgaya. En se basant sur cette image, Sa Sainteté a d’abord pensé que le Gandhola devait avoir la même forme que le temple. Mais l’histoire de libération du 9e Karmapa y fait référence comme le Jowo Gandhola. Jowo est un terme honorifique ou affectueux pour le Bouddha, celui qui offre le refuge, et cette appellation rappelle les célèbres statues de Jowo Shakyamouni à Lhassa. Ce nom indique que l’objet sacré est une représentation du Bouddha assis à l’intérieur d’un temple. Gandhalaya ou ‘temples au parfum pur’ sont des lieux où le Bouddha a séjourné. En outre, le namthar du 7e Karmapa de Goshri Paljor Deundroup précise que l’image est faite en bois de l’arbre de la Bodhi, et décrit le Bouddha à l’intérieur d’un temple. Des images des actes du Bouddha entourent la figure principale. Les descriptions selon cette source sont conformes à la photo de la sculpture de la salle du trésor de Roumtek, montrée précédemment. On peut voir les actes du Bouddha de chaque côté de cette œuvre, mais seulement quelques indications du temple de la Mahabodhi qui entoure la figure centrale. Sa Sainteté en conclut que la forme du Gandhola est telle qu’elle est décrite dans les textes et ne ressemble pas nécessairement à ce qu’on voit sur la thangka.
Quand le Mongol Güshi Khan détruisit le Grand Campement à l’époque du 10e Karmapa, où est passé cet objet ? Après la bataille, Güshi Khan et l’intendant du 5e Dalaï-Lama, Seunam Rabtèn, se rendirent ensemble à la salle du Trésor noir à Tsé Lhangang au Kongpo. La salle des coffres conservait tous les objets sacrés des Karmapas qui se trouvaient à l’origine au monastère de Tsourpou, mais qui furent transférés à la trésorerie de Tsé Lhangang par le 6e Karmapa. (C’est probablement très semblable à la trésorerie qui existe encore au temple de Todaiji à Nara, au Japon. Fondée au 8e siècle, la célèbre trésorerie Shösöin contient de nombreux objets précieux, y compris ceux de la dynastie Tang). Güshi Khan et Seunam Rabtèn firent un raid sur le Trésor noir et s’emparèrent de nombreux objets, tels que les statues des 16 arhats faites de bois d’aloès, qui furent emportées au monastère de Drépoung, où on peut encore les voir aujourd’hui. Certaines statues tombèrent dans le Brahmapoutre et disparurent. Beaucoup de gens s’inquiétèrent pour le Gandhola, qui était le principal objet de vénération au Campement, mais par chance, il survécut. Sitou Cheukyi Joungné écrivit dans son autobiographie que, quand il donna les vœux de fidèle laïque et les préceptes au 8e Shamar Palchèn Cheukyi Deundroup dans l’arrière salle de Kargyéma à Tsourpou, l’objet était là (mais il ne mentionna pas le nom de Gandhola). Il semble qu’à ce point, les gens gardaient le sujet secret. A l’époque du 15e Karmapa, Kartok Sitou Cheukyi Gyatso se rendit à Tsourpou et fit état de trois sculptures sacrées ; la première mentionnée était « faite du bois de l’arbre de la Bodhi par Nagarjouna avec les bouddhas des trois temps en haut, les sept Bouddhas au-dessous et deux divinités irritées. Ceci fut offert à Reulpé Dorjé par des acharyas qui étaient des émanations de Mahakala à quatre bras. » Cette description du Gandhola correspond aux références mentionnées plus tôt. En outre, bien que Kartok Sitou ait écrit que Nagarjouna avait fait les deux autres objets, il ne mentionna Reulpé Dorjé qu’en lien avec le premier ; il n’en dit rien pour les deux autres sculptures. Comme le Gandhola fut offert au 4e Karmapa, nous pouvons probablement avancer que le premier objet est celui qu’il reçut ; mais à ce stade, nous n’avons qu’une seule photographie qui pourrait correspondre au Gandhola. Si un jour, nous pouvons ouvrir la salle du Trésor de Roumtek, nous pourrons alors identifier tous les objets décrits par Kartok Sitou.
Contrairement aux autres grands lamas qui fuirent le Tibet pendant l’invasion chinoise, le 16e Karmapa – grâce à son omniscience – put emporter avec lui de nombreux objets sacrés au Sikkim. En se basant sur la photo que Sa Sainteté a montré avant, il semble que le Gandhola fasse partie des objets conservés dans le Trésor noir, à Roumtek. La collection a été cataloguée à l’époque, et Sa Sainteté dit qu’il projette de poursuivre ses recherches sur ce sujet ; il apprécierait l’aide, les conseils et l’inspiration de toute personne qui en a connaissance.
La cérémonie de l’offrande du Gandhola et les Kagyu Meunlams
Sa Sainteté déclare qu’il ne pourra pas donner toutes les explications sur le Grand Campement au cours des enseignements de cette année ; il va donc traiter quatre sujets importants. Il a déjà parlé du Gandhola et va ensuite parler des cérémonies d’offrande du Gandhola associées au Garchèn Meunlam. Il abordera ensuite les règles concernant l’interdiction de la consommation de viande et d’alcool dans le Campement, et le style de peinture Karma Gadri. D’autres sujets liés au Campement – les règlements, sa croissance, la façon dont il voyageait d’un endroit à l’autre, les études qui lui sont associées – seront traités l’an prochain.
Le Karmapa parle d’abord de la Cérémonie d’offrande du Gandhola ou la Cérémonie de la vue du Gandhola. C’était une présentation publique du Gandhola et d’autres représentations du corps, de la parole et de l’esprit, accompagnée d’offrandes élaborées. Alors, le Gyalwang Karmapa ou un de ses fils de cœur comme Shamar Rinpoché expliquait les objets aux membres de l’assistance, et c’est la vue et l’écoute qui constituaient la Cérémonie d’offrande du Gandhola.
Il est difficile de dire exactement quand on a commencé à célébrer cette cérémonie, mais elle est décrite dans les namthars du 7e Karmapa. Pawo Tsuglak Trègwa, dans son Festin pour les érudits, écrivit que Cheudrak Gyatso composa le Meunlam en vingt branches ; il utilisait cette liturgie quand il faisait tourner la Roue du dharma pendant les quatre Fêtes du Bouddha, en particulier pendant la Fête des miracles qui se tenait du 1er au 15e jour du premier mois tibétain. On arrangeait les nombreux objets sacrés du Campement, entourés d’offrandes de substances précieuses, de joyaux, de cristaux de diverses couleurs, de turquoises, d’argent, de jade et de gogushi (turquoise bleue), et ils étaient présentés à la vue du public.
Au Tibet, à cette époque, même les rois et les gens fortunés n’avaient jamais vu ni entendu parler d’un tel déploiement. Chaque jour voyait l’arrivée de plus en plus d’offrandes. Cheudrak Gyatso s’asseyait sur un tapis mince et se prosternait devant elles. Plus tard, à Lhassa et à Kharou Tèng dans l’Ü-Tsang, on fabriquait, à partir d’une tente bleu ciel, un grand temple – de la taille d’une maison à cent piliers -, entouré d’une palissade de tissus, avec des auvents, des antichambres et une flèche ornée d’oiseaux et de dragons dorés. Au milieu de l’immense tente, on plaçait le Gandhola au centre, entouré de nombreux objets sacrés dont une statue du Bouddha consacrée par Shakyamouni lui-même et support de méditation d’Atisha. Mais l’objet principal était le Gandhola. Au-dessus de lui, étaient disposés des parasols entièrement faits de perles données par l’empereur Ming à Karmapa Déshin Shèkpa, qui formaient une colonne en 13 parties, l’une au-dessus de l’autre. Le septième parasol mesurait deux envergures de bras et demie, ce qui fait que ceux du bas étaient encore plus grands. Les coussins et les bannières de victoire étaient aussi confectionnés en perles. Même le seigneur de l’Ü-Tsang, Deunyeu Dorjé, n’en revenait pas. Il eut le sentiment d’être arrivé aux royaumes des dieux. Mèntang Jangyangpa, qui avait écrit sur le style de peinture Menri et était très doué pour l’art, pensa qu’il rêvait et demanda : « Sommes-nous arrivés au palais de Vaishravana ? » Tous étaient émerveillés par ce qu’ils voyaient.
La Cérémonie d’offrande du Gandhola pouvait prendre deux formes : complète ou plus courte. La version élaborée incluait les statues des 16 arhats offertes au Karmapa par l’empereur Ming. On installait les auvents de perles même quand le Campement voyageait. Dans les principaux monastères, la cérémonie était tout aussi élaborée, complète et splendide. Même les intendants ne connaissaient pas toute l’ampleur des objets sacrés et des offrandes. Seul le Karmapa, par sa clairvoyance, pouvait garder tous les objets à l’esprit. Pour pratiquer les cérémonies, les organisateurs devaient transporter les objets d’un endroit à l’autre, emballés dans des coffres. A l’époque du 7e Karmapa, les offrandes associées au seul Gandhola nécessitaient 32 coffres. Il y en avait moins à l’époque de Mikyeu Dorjé, seulement 16 coffres, et plus tard il n’y en avait que six ou sept.
Pour donner une idée de ce à quoi ressemblait l’ensemble, Sa Sainteté montre un dessin qu’il a fait et qui reproduit l’autel de l’offrande du Gandhola. On voit le Gandhola au centre avec les 13 parasols au-dessus. Des représentations du corps, de la parole et de l’esprit se trouvent sur les différents niveaux autour, tandis que des bols d’offrande en or et en argent, ornés de jade, de perles etc. sont posés sur le niveau inférieur.
Bien qu’on ne sache pas précisément quand elle a débuté, la Cérémonie d’offrande du Gandhola faisait partie des activités du Meunlam du Garchèn, à l’époque du 7e Karmapa. Goshri Paljor Deundroup écrivit que c’est quand le Karmapa se rendit au Kongpo, dans un lieu appelé Lingchi dans la ville de Sapur, que Cheudrak Gyatso mit en place les offrandes pour les anniversaires des maîtres Kagyu et pour d’autres fêtes. Des Meunlams avaient lieu à l’occasion des quatre Fêtes du Bouddha : la Fête des miracles ; la naissance, l’éveil et le parinirvana ; la mise en mouvement de la Roue du dharma ; et la Fête de la descente du ciel.
On commençait ces célébrations annuelles le 15e jour du 9e mois, pendant la Fête de la descente du ciel. Le plus élaboré de ces événements se déroulait lors de la Fête des miracles. Du 1er au 15e jour du premier mois, se tenait le Campement du Losar. Le matin, avait lieu le Meunlam, et l’après-midi des représentations théâtrales et divers amusements. Goshri écrit que c’est d’abord le Meunlam qui fut instauré, et plus tard, on ajouta des représentations élaborées. Par exemple, à partir de l’époque où Cheudrak Gyatso se rendit à Dawa Tang en Otang, les Fêtes du Bouddha comptaient toujours un Meunlam le matin. L’après-midi, on mettait en scène des reconstitutions des Mahasiddhas de l’Inde et du Tibet, des empereurs de Chine, du Tibet et de Mongolie, d’Indra et des quatre grands rois, etc. Les gens avaient alors des visions des bouddhas et bodhisattvas ; il se produisait des signes et bons augures, tels que des pluies de fleurs, des vautours qui virevoltaient dans le ciel dans une région où les vautours étaient inconnus.
Le Meunlam en vingt branches, écrit par le 7e Karmapa, est la base liturgique du Kagyu Meunlam actuel. Sa Sainteté a consulté un vieux manuscrit du texte du Meunlam, mais il manquait une page. Pour le compléter, il a utilisé un livre de prières Kamtsang qui comprend la partie manquante. Ainsi, ces deux textes sont la source des prières que nous récitons au Kagyu Meunlam aujourd’hui.
A l’époque de Cheudrak Gyatso, on accomplissait le même Grand Meunlam qui se trouve dans nos livres de prières Kamtsang, et aussi les Prières pour les vivants et les morts, écrites par le 1er Karmapa, Dusoum Khyènpa. Le 7e Karmapa lisait les Prières pour les morts et tout le monde écoutait les dédicaces. L’après-midi, ils organisaient des représentations des Contes des Jatakas et des mahasiddhas du Tibet et de l’Inde. Les gens regardaient les spectacles et aussi admiraient le Karmapa, qui habituellement restait juste assis dans l’équanimité de la méditation, sans parler. Il ne tenait pas de conversation mondaine, et donnait peu de discours du dharma et même alors, il parlait peu. Il donnait de très courtes audiences tous les trois, cinq ou sept jours. La plupart du temps, il demeurait en retraite de méditation. Même quand il se déplaçait, les gens ne le voyaient pas. Ceux qui vivaient dans le Campement n’avaient pas souvent accès à lui. Mais pendant ces fêtes, il était tout le temps là, assis ; c’était une occasion très rare de voir le Karmapa.
Le 8e Karmapa, Mikyeu Dorjé, mit fin aux représentations pendant les célébrations du Losar. En une période antérieure, ces représentations avaient été bénéfiques aux êtres, mais plus tard dans la région du Kongpo, les gens venaient simplement pour voir un spectacle. Les participants se rassemblaient, les hommes et les femmes se rencontraient et devenaient amants, et on tuait beaucoup d’animaux. Un ancien roi non bouddhiste du Kongpo avait pratiqué les sacrifices d’animaux, et bien que Rangjoung Dorjé ait mis fin à ces pratiques, la consommation de viande continuait dans la région. Donc, Mikyeu Dorjé abandonna la tradition des représentations parce qu’elle faisait croître la non-vertu ; seulement les Meunlams avaient lieu. Les gens venus de pays éloignés faisaient des compétitions et des jeux, mais les Meunlams n’incluaient plus d’autres représentations. Le 8e Karmapa réduisit aussi le nombre de Meunlams, qui n’eurent lieu que pendant la Fête des miracles. (Le premier à organiser une Fête des miracles fut probablement le Seigneur Tsongkhapa à Lhassa. Sa Sainteté en parlera plus tard s’il a le temps.)
A l’époque du 9e Karmapa, Wangchouk Dorjé, la Fête des miracles se terminait le jour de la pleine lune et les membres de la sangha faisait une ‘procession dorée ou du Meunlam’. Une biographie de Wangchouk Dorjé raconte que, à partir de l’année Bois-Cochon Femelle (1575), pendant le Meulam du Losar, les participants portaient des images du Bouddha pendant la tournée de l’aumône et ils étaient accompagnés des moines vêtus des tenues des 16 arhats et en même temps, avait lieu une procession de la sangha. C’était une cérémonie auspicieuse pour conclure le Meunlam.
Le Meunlam du Garchèn cessa probablement avec le 10e Karmapa, Cheuying Dorjé, mais la tradition de la procession de la sangha le jour de la pleine lune s’est poursuivie jusqu’à l’époque du 16e Karmapa. Dans le catalogue des objets sacrés du Tibet, Sitou Rinpoché a décrit les gens qui portaient des costumes du Bouddha, de Sharipoutra et de Maudgalyayana et faisaient une procession autour du monastère de Tsourpou. Les participants faisaient des offrandes dans chaque sanctuaire, se prosternaient et recevaient des khatags. Ils récitaient la Louange des douze actes du Bouddha ainsi que le texte Hommage et offrandes aux 16 arhats. Des moines plus âgés de Tsourpou ont dit à Sa Sainteté que les seize Karmapas étaient aussi représentés dans la procession. Nous en arrivons au Kagyu Meunlam d’aujourd’hui.
Le Meunlam aujourd’hui
Le précédent Kalou Rinpoché planta la graine du Kagyu Meunlam actuel, et Kyabjé Vajradhara Bokar Rinpoché a continué la tradition d’un festival annuel de prières à Bodhgaya. Quand Sa Sainteté est arrivé en Inde, il a trouvé que cette tradition du Meunlam était excellente ; quand il a vu les vieux textes utilisés, il a souhaité améliorer et augmenter le contenu, en particulier pour s’accorder avec la façon dont cela se passait à l’époque des Karmapas précédents. A l’origine, le Meunlam actuel contenait beaucoup de rituels du vajrayana, et les nombreuses personnes qui venaient visiter le temple de la Mahabodhi pouvaient être un peu troublés par certains mots. En entendant parler de manger de la viande ou de boire du sang, ils pouvaient se demander :’Mais qu’est-ce qu’ils disent ?’ Aussi quand Sa Sainteté a repris la responsabilité du Meunlam, il l’a un peu modifié. Mais, après le décès de Bokar Rinpoché, son but principal a été d’honorer les aspirations de son prédécesseur pour le Meunlam.
Bokar Rinpoché est décédé si soudainement que Sa Sainteté n’arrivait pas y croire ; Kyabjé Tènga Rinpoché était avec lui à ce moment-là et lui aussi a dit : « Ce n’est pas possible. » Sa Sainteté décrit sa réaction :
Un moment, j’ai fait un rêve – c’est comme si je devais me sentir très mal à l’aise dans l’esprit – et le rêve disait que Rinpoché était décédé, mais c’était comme si son corps était en vie. Quand vous touchiez sa chair, elle était encore très douce et souple … Qu’est-ce que nous pouvons faire ? Si je prends tout mon sang et le verse dans le corps de Rinpoché, alors le corps de Rinpoché serait à nouveau vivant … J’ai pensé à cela parce que, d’un certain côté, quand Rinpoché est décédé, il était vraiment décédé, et il n’y avait pas d’autre choix que de le croire. Mais d’un autre côté, … cette idée qu’il était encore en vie, qu’il devait finir … j’avais le sentiment qu’il fallait que je fasse quelque chose … j’avais l’espoir qu’il nous revienne … Je pense que c’est pourquoi j’ai fait ce rêve.
Le Karmapa dit qu’il se souvenait de ce rêve quand il travaillait pour le Kagyu Meunlam. Il n’avait pas de grands objectifs ; les Rinpochés avaient déjà semé les graines et ils avaient posé de bonnes fondations pour le Kagyu Meunlam. C’était une raison pour continuer et encore l’améliorer. Voilà quel était le but de Sa Sainteté, exprimé simplement.
Plus tard, quand il fit des recherches sur la vie des précédents Karmapas – la procession des 16 arhats, etc. -, il décida d’incorporer dans le Meunlam certaines des choses qu’il avait apprises. Ce n’est pas comme si quelqu’un pensait trop, avait trop d’idées et faisait juste comme il l’entend, explique-t-il. Il n’a rien inventé pour le Kagyu Meunlam qui ne se faisait pas auparavant. Sa Sainteté conclut : « Cela peut sembler être le cas, mais si vous regardez la vie des précédents Karmapas, il n’y a rien qu’on ait besoin d’inventer. Vous ne faites que rétablir l’ancien, il n’y a rien de nouveau à faire. »
Sa Sainteté indique qu’il continuera de parler des pratiques de l’individu supérieur dans le prochain enseignement, et aussi de l’abstention de la consommation de viande. La plupart des monastères ont des règles qui interdisent l’alcool, mais la règle de s’abstenir de manger de la viande est une caractéristique spécifique du Campement ; il parlera donc un peu de ce sujet. De nos jours, ce sujet engendre beaucoup de conflits mais ce ne devrait pas être un sujet de dispute. Le Karmapa a déjà parlé d’être végétarien mais il n’a pas donné de référence historique. Il promet de partager son opinion sur la question et de nous dire comment les choses se passaient à l’époque du Bhagavan Bouddha et plus tard au Tibet.