Jour 16 : le végétarisme dans le Grand Campement – la pureté de la viande dans le vinaya 

Enseignements du printemps du 17e Gyalwang Karmapa
à l’occasion de l’Arya Kshéma

La vie du 8e Karmapa Mikyeu Dorjé

7e Arya Kshéma
12 mars 2021

Après ses salutations auspicieuses Sa Sainteté poursuit sa présentation des traditions du Grand Campement et des règles concernant l’abstention de la consommation de viande. En outre, Sa Sainteté aborde la manière dont le vinaya traite de la consommation de viande. 

1ère partie : Le 4e Karmapa, Reulpé Dorjé, interdit la viande et l’alcool dans le Grand Campement.

En se référant au livre du 9e Karmapa, Wangchouk Dorjé, Grand livre du règlement pour le Grand Campement, l’Ornement du monde, Sa Sainteté explique que le 4e Karmapa, Reulpé Dorjé, et les incarnations successives du Karmapa interdirent la consommation de viande et d’alcool dans le Grand Campement :

ceux qui faisaient partie du campement ne pouvaient pas avoir de viande – même pas un poil de biche – ni boire de l’alcool, même pas la quantité d’une goutte sur le bout d’un brin d’herbe.

De même, Karma Keunsheun, un des disciples directs du 4e Karmapa, écrivit un namthar de Reulpé Dorjé intitulé Réjouir les érudits. Dans ce texte, il rapporte que Reulpé Dorjé et son entourage subsistaient sur les trois ‘nourritures blanches’, et que si on trouvait les os d’un animal tué à l’endroit où des maîtres et des disciples avaient séjourné, ils étaient réprimandés. En outre, « même pas une effluve d’alcool n’était autorisée à flotter dans l’enceinte du campement. Reulpé Dorjé amenait tout le monde à une conduite pure. » 

Un autre étudiant de Reulpé Dorjé, Tsourpou Kangpangpa, en convint. Voici ce qu’il dit de son enseignant :

Il n’était pas question qu’il y ait la plus infime quantité de viande ou une simple odeur d’alcool dans le campement. Sa conduite était la perfection de la pureté, et le pouvoir de sa compassion était immense.

Les Karmapas successifs ont maintenu, protégé et développé la tradition de végétarisme de Reulpé Dorjé. Sa Sainteté a la conviction que cette interdiction de manger de la viande était un trait distinctif du Grand Campement. Dans le texte de Karma Chakmé Les paroles de Gourou Pandita Jamyang venu du nord : les défauts de la viande ; distinguer entre ce qui est autorisé et ce qui est prohibé, il est écrit :

Il y avait toujours 500 bhikshus portant le vêtement extérieur autour de Reulpé Dorjé ; il montrait l’exemple à la perfection en n’autorisant pas la viande, pas même le poil d’une biche, en sa présence. A partir de ce moment-là, la plupart des organisations du dharma fondées par le Seigneur Mikyeu Dorjé eurent des règles strictes prohibant la viande. Au monastère de Nyinling, il n’y avait pas de règle contre la viande, mais on faisait une soupe différente avec un bouillon végétarien pour les végétariens. Le Karmapa et ses fils de cœur ne consommaient que de la nourriture végétarienne et n’autorisaient jamais la viande en leur présence. Dans les ganachakras, tout le monde mangeait de l’offrande de viande, et même le Karmapa et ses fils de cœur en mangeaient une petite quantité afin de ne pas enfreindre les samayas.

Les règles contre la consommation de viande et d’alcool dans le Grand Campement étaient clairement très strictes. Les interdictions incluaient le fait d’abattre et de découper des animaux dans ou près du Campement, et on ne devait pas offrir de viande pendant les pujas régulières ou au moment de célébrations telles que le Losar (Nouvel An tibétain). Les gens qui dépeçaient des animaux ou ne suivaient pas ces règles pouvaient être exclus du Campement – ce qui signifiait être entièrement exclus des Karma Kagyu -, ou bien ils pouvaient être démis de leur fonction, selon la gravité de la faute commise.

Il existait de nombreuses raisons pour lesquelles la viande était interdite de manière aussi stricte dans le Campement. Cependant, Sa Sainteté explique que la raison première était d’empêcher qu’on ne tue d’innombrables êtres afin de nourrir la large population du Campement. Si la consommation de viande avait été autorisée, il aurait été impossible de manger de la viande d’animaux morts naturellement en raison du nombre de personnes qui vivaient dans le Campement ; on ne pouvait pas attendre d’avoir assez de cadavres d’animaux pour nourrir tout le monde, et en conséquence, il aurait fallu tuer des animaux. Selon le vinaya, une telle viande est considérée comme impure et sa consommation serait très nuisible.

2e partie : Mikyeu Dorjé encourage tous les Tibétains à abandonner la viande

Comme l’a expliqué Sa Sainteté précédemment, à l’époque de Mikyeu Dorjé, le Grand Campement était devenu beaucoup plus grand et mieux organisé. Après la mort du 7e Karmapa, Cheudrak Gyatso, de nombreuses règles du Grand Campement étaient ignorées, et beaucoup d’animaux étaient offerts, tués et mangés. Le 8e Karmapa, Mikyeu Dorjé, se rendit compte des difficultés et des souffrances causées et, une fois qu’il fut plus âgé et eut plus d’influence, il rétablit la règle interdisant strictement la viande dans le Grand Campement. En outre, nombre des monastères qu’il avait fondés adoptèrent des règles strictes contre la consommation de viande ; de plus, il instigua un mouvement pour promouvoir le végétarisme partout au Tibet. Le Catalogue des œuvres complètes du 5e Shamarpa comprend le texte de Mikyeu Dorjé Lettre à mes mères sans défense principalement au Pays des neiges, qui est une déclaration diffusée au Tibet sur le caractère inapproprié de la consommation de viande. Bien que Sa Sainteté n’ait pas ce texte en sa possession, son titre lui permet de s’assurer de la position de Mikyeu Dorjé sur la consommation de viande. Il espère pouvoir un jour obtenir un exemplaire de la Lettre à mes mères sans défense

Pour les aumônes, le 8e Karmapa évitait les régions où on mangeait de grandes quantités de viande. Dans le commentaire de Sangyé Paldroup sur les Versets autobiographiques ‘les Actes bons’, il est dit :

Quelle que soit la région où il se rendait, il essayait habilement d’empêcher que les gens mangent de la viande. Au Kongpo, dans les régions mongoles ou toute autre région où on ne mangeait que de la viande, il lui était impossible d’empêcher cette consommation et pour cette raison, il n’allait pas y faire l’aumône, dit-on. 

Grâce à son texte Grand commentaire sur le vinaya, on peut voir que Mikyeu Dorjé insistait beaucoup sur la non consommation de viande ou d’alcool. Voici ce qu’il y écrit :

En outre, si vous mettez de la viande, de l’alcool, etc. dans les tormas du Gutor et d’autres types de torma, vous ne me prenez pas comme maître. Vous n’êtes  pas digne d’être mon disciple. Vous ne me choisissez pas comme gourou.

En plus de la viande et l’alcool, il y a huit choses impures qui sont à abandonner à l’ordination, et Mikyeu Dorjé en a fait la liste dans ses Cent instructions courtes. Ce sont : les armures, les armes, monter des animaux et des bêtes de somme, les affaires y compris les intérêts, les récoltes et les maisons, traire des animaux et l’élevage. Ce n’étaient pas des consignes nouvelles édictées par le 8e Karmapa ; en fait, Mikyeu Dorjé citait le Seigneur Gampopa. 

Sa Sainteté ajoute une note personnelle ; il a entendu beaucoup de gens dire : « Le Karmapa a dit que si vous n’arrêtez pas la consommation de viande, vous n’êtes pas Kagyupa. » Sa Sainteté précise qu’il n’a pas la capacité de dire ou de décider si quelqu’un est Kagyupa ou non. La confusion est probablement apparue après une intervention qu’il a faite en 2004, dans laquelle il avait cité certains des textes de Mikyeu Dorjé concernant l’abandon de la viande. Sa Sainteté souligne que  cette déclaration n’était pas de lui, mais en fait c’était ce qu’avaient enseigné les précédents Karmapas.

Sa Sainteté rappelle aux auditeurs qu’être végétarien à l’époque de Mikyeu Dorjé était un vrai défi car il n’y avait pas un grand choix de nourritures. Un vieux livre que le Karmapa a lu énumérait les produits alimentaires tibétains ; il n’y avait que 100 aliments cités et 90% d’entre eux étaient de la viande. Sa Sainteté, né dans une famille de nomades, raconte qu’à part la viande, pour manger il n’y avait que le beurre, le fromage et la tsampa, et du lait pour boire ; il n’y avait pas de légumes. En conséquence, les grands maîtres tibétains du passé ne disaient pas aux gens d’arrêter de manger de la viande en particulier. Cependant, les maîtres Kagyu du passé considéraient que c’était très important et ils enseignaient les problèmes que cela posait et les raisons d’arrêter la consommation de viande et d’alcool. 

Il poursuivra ce sujet demain.

3e partie : De la viande pure des trois façons

Le Bhagavan Bouddha était très attentif à la nourriture et à la conduite de la communauté monastique, et il leur donnait de nombreux conseils. On peut trouver certains de ses conseils dans les écrits du vinaya de différentes écoles. Concernant l’instruction d’aujourd’hui (de la viande pure des trois façons), Sa Sainteté se réfère essentiellement à des citations prises dans 5 des 18 écoles originelles du bouddhisme, qu’il a pour la plupart traduit à partir du chinois. Les textes ont des explications légèrement différentes pour déterminer quelle viande est pure ou impure et pour qui (bhikshus, bhikshunis, novices ou laïques). 

Sa Sainteté débute cette partie de l’enseignement par une réflexion sur les premières pratiques ascétiques du Prince Siddhartha. A l’époque en Inde, de nombreuses traditions philosophiques et religieuses encourageaient la pratique des austérités, parfois très sévères, qui étaient difficiles pour les gens ordinaires, mais le Prince Siddhartha s’y soumit pendant six ans. Il eut, à un moment, une expérience où il se rendit compte que la seule pratique des austérités ne conduirait pas à l’éveil. Le Bhagavan Bouddha enseigna plus tard à ses moines et nonnes qu’ils ne devaient pas avoir un style de vie trop strict au point d’en être insupportable, ni un qui soit trop luxueux au point d’en être négligent.

La nourriture est une nécessité quotidienne, il faut manger. Cependant, le Bhagavan Bouddha établit des codes qui encourageaient à manger avec modération. On devrait considérer la nourriture comme un médicament, et donc manger de manière incontrôlée n’était pas acceptable. Les moines et nonnes faisaient chaque jour la tournée des aumônes et ils devaient compter sur la nourriture donnée. Bien que l’Inde, depuis les temps anciens jusqu’à maintenant, compte un grand nombre de végétariens, certains offraient de la viande aux moines. Le Bhagavan Bouddha pensait qu’accepter les aumônes des riches comme des pauvres, qu’ils aient été  végétariens ou non, aiderait les religieux à établir des connexions avec tous les niveaux de la société. Ils devaient donc, par moment, accepter des offrandes de viande. 

Cependant, les moines et nonnes ne devaient pas manger toute la viande qui leur était donnée. La viande considérée comme pure après examen pouvait être consommée, la viande impure non. Le texte de l’Uttara Grantha Vinaya de la tradition Mūlasarvāstivāda, trouvé au Tibet, fait la liste de différents types d’animaux à ne pas manger. Sont inclus : consommer la viande, la graisse et les jus de différentes espèces d’oiseaux tels que les chouettes, de reptiles, d’amphibiens tels que les crapauds, et de carnivores comme les lions, les tigres et les ours. En plus, la viande ne doit pas être crue ni tuée spécialement pour un destinataire particulier. 

Le Bhagavan Bouddha proposa des méthodes pour déterminer si la viande était pure des trois façons ; ces enseignements s’adressaient en premier aux moines et nonnes et occasionnellement aux laïques. Il existait de légères variations entre différents manuscrits du vinaya et les écoles bouddhistes, mais tous étaient d’accord pour dire que trois types de viande devaient être évités : à cause de la ‘vue’, l’’ouïe’ et  la ‘suspicion’. Selon une source sri-lankaise rapportée en Chine au 4e siècle, le Bhagavan Bouddha expliqua ainsi la définition de la viande impure à ses bhikshus et bhikshunis :

La ‘vue’ signifie qu’on voit effectivement soi-même la mise à mort. L’ouïe’ signifie qu’on entend dire par un individu fiable que l’animal a été tué pour vous. La ‘suspicion’ signifie qu’on soupçonne qu’il a été tué pour vous.

Il leur donna cet enseignementà la suite d’un repas servi par un homme du nom de Capitaine ou Général Lion, au cours duquel les moines et nonnes eurent des doutes quant à la viande qui leur était offerte. Le Vinaya Vastu de la tradition de Mūlasarvāstivāda, que l’on trouve au Tibet, raconte cette histoire de façon similaire et le sens en est le même, explique Sa Sainteté. Les textes Mahīśāsaka qui existent en Chine, sont très légèrement différents. Sa Sainteté fait remarquer que le point important est que, quand les moines et nonnes recevaient de la viande dans leur tournée d’aumône, ils devaient demander au donateur de quelle type de viande il s’agissait et si l’animal avait été tué pour eux. Il était de leur responsabilité de s’assurer que la viande convenait à leur consommation. Selon Sa Sainteté, s’ils ne faisaient pas attention, il y avait le risque que les animaux soient tués pour eux.

Dans le Vinaya Mahāsāṇghika, la définition de ce qui constituait une viande impure était plus large et s’appliquait aussi bien aux religieux qu’aux laïques. Ce texte, apporté en Chine par un moine chinois du nom de Faxian et traduit avec le maître indien Buddhabhadra, dit que, si un animal est tué pour un bhikshu spécifique ou un laïque, aucun bhikshu, bhikshuni, novice ni laïque ne peut consommer cette viande. En d’autres termes, si un animal est tué pour un bhikshu, les bhikshunis et les laïques ne sont pas non plus autorisés à manger la viande. De même, si un animal était tué pour un laïque, la viande était impure et ni les religieux ni les laïques ne pouvaient en manger.

Les écritures Tāmraśāṭīya, qui étaient originellement en pali mais ont été traduites du chinois par Sa Sainteté, offrent une description détaillée des trois viandes pures. Le Tāmraśāṭīya est l’une des 18 écoles originelles du bouddhisme, qui s’est développé principalement au Sinhala (Sri Lanka), et que l’on considère comme faisant partie de la tradition Theravada. Des extraits du texte appelé le Grand trésor de tout ce qui est vu comme excellent (Samantapāsādikā) en furent lus. En outre, Sa Sainteté présenta ses traductions de textes du Daśa-bhāṇavāra-vinaya de la tradition

Sarvastivada et le Dharmaguptika Vinaya, qui avaient des définitions plus étroites de la pureté de la viande en trois points. Dans leurs textes, la viande impure inclut aussi la viande d’un animal qui n’est pas mort naturellement : il a été tué par un boucher, une famille l’a tué pour vous, une famille en vendait la viande, ou tué par un individu sous l’emprise des dix actes non-vertueux. A noter que la pratique du vinaya tibétaine et chinoise venait de la tradition Sarvastivadan, qui venait elle-même du Theravada. 

En bref, dans toutes les traditions du vinaya, il est important pour les moines et nonnes, et les laïques qui ont des vœux de fidèle laïque, de ne manger que de la viande qui a les trois formes de pureté ; ce qui signifie ne pas voir, ne pas entendre et ne pas soupçonner que l’animal a été tué pour vous. De plus, pour les religieux, ceci signifie ne manger que de la viande qui a été offerte (et non quémandé au donateur) et qui est vérifiée comme pure. En se souvenant que le Sarvastivada et le Dharmaguptika Vinaya étaient très stricts, ceci peut parfois se montrer difficile. Même si on meurt de faim, on ne doit pas manger de viande impure.

Demain, Sa Sainteté abordera l’interdiction de la viande dans le mahayana. Il parlera également de l’impact de la consommation de viande sur l’environnement et sur notre santé. 

Il mentionne ensuite son projet de commencer des enseignements d’été qui se concentreront sur tsokdra, les rituels et les pratiques des divinités de yidam. Comme ceci est en lien avec la pratique des mantras secrets, les enseignements seront proposés aux monastères de moines et de nonnes, mais ils seront fermés au grand public. 

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